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ombre se trouva incapable de tous les devoirs de la vie publique, lorsque la paix l’eut ouverte pour elle. L’esprit français fut d’ailleurs rarement plus stérile qu’à l’époque où les armes de la France dominaient le monde. Pendant que le souffle du génie relevait l’Allemagne dans ses humiliations, il ne visitait pas la patrie de Louis XIV dans ses victoires. Une littérature dont M. de Jouy fut le Corneille et Alexandre Duval le Molière ; une philosophie qui commentait Condillac ; dans les arts une froide imitation de l’antique, et dans les sciences seulement quelques travaux immortels, tel est le bilan d’une époque violemment détournée de son cours naturel par la volonté d’un seul homme. Le consulat avait entr’ouvert de plus vastes horizons devant la pensée humaine : pendant que la France littéraire respirait à pleine poitrine dans l’atmosphère ouverte par l’auteur d’Atala et de René, le peuple, entassé dans les rues ou courbé sur le parvis des temples, recevait la bénédiction du vieillard qui avait quitté les solitudes de la ville éternelle pour porter à la bruyante métropole des révolutions toute la poésie de la foi et des siècles ; mais l’empire avait promptement tari ces sources magnifiques. Il avait fait de la religion un instrument de règne, et ses évêques n’étaient plus guère à ses yeux que des fonctionnaires chargés d’entonner des Te Deum sur l’injonction des préfets. La prison et l’exil devinrent le lot de ceux qui refusèrent d’accepter ce rôle, et bientôt l’auguste consécrateur de Notre-Dame devint le captif de Fontainebleau. En appesantissant son joug sur le doux pontife qui l’avait béni, Napoléon cessa d’être un restaurateur politique pour n’apparaître désormais que comme le chef d’une formidable armée servi par une formidable administration.

L’altération de la puissance administrative fut l’un des torts les plus graves de cette carrière tristement dévoyée. Pour faire de la France un docile instrument de despotisme militaire, Napoléon fut conduit à dénaturer la machine gouvernementale, en la faisant fonctionner en sens contraire des intérêts qu’elle avait originairement mission de protéger. L’assemblée constituante avait beaucoup centralisé sans doute, mais elle l’avait fait dans un sens conforme aux précédens historiques et au génie de la nation. En assujétissant toutes les localités aux mêmes formes administratives, elle n’avait point entendu anéantir la vie propre à ces localités elles-mêmes. Le principe électif appliqué à tous les degrés de la hiérarchie et le système des administrations collectives appliqué aux directoires des départemens et des districts le constatent surabondamment ; mais l’empereur ne procéda point ainsi il dépouilla les administrations locales de toute action comme de toute initiative, il anéantit toutes les forces pour prévenir toutes les résistances, et, à l’exemple de tous les despotismes, il coupa l’arbre afin