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pour perspective que d’aller à Sainte-Hélène ou de se faire le chef d’une jacquerie. Ainsi la France se trouvait ballottée entre deux partis et deux gouvernemens atteints à des titres divers d’une impuissance presque égale. La liberté politique et le bien-être de la paix départis au pays par la restauration avaient frappé au cœur le régime impérial, et, d’un autre côté, le retour de l’empereur, en réveillant toutes les passions éteintes et en divisant profondément la nation, avait préparé à la maison royale une carrière au bout de laquelle il était trop facile d’entrevoir l’abîme.

Chaque parti était assez fort pour entraver le pouvoir, quoique aucun ne fût assez puissant pour l’exercer, et le pays put avoir dès cette époque le pressentiment d’une situation dont trente années n’ont affaibli ni les difficultés ni les périls. La royauté s’efforçait de faire fonctionner la constitution émanée de son initiative, mais en conservant sur son pouvoir constituant des doctrines qui ne pouvaient manquer d’engendrer tôt ou tard un conflit terrible ; le parti royaliste, exaspéré par la trahison des cent jours, imposait à la monarchie une justice rigoureuse sans rapport avec sa faiblesse, et cette monarchie malheureuse subissait, aux yeux des peuples, tout l’odieux de la seconde invasion, dont la responsabilité n’atteignait pourtant que ses ennemis ; tout le parti militaire vociférait la liberté et cachait l’uniforme sous la carmagnole ; les classes bourgeoises, toujours poursuivant le même but politique, mais toujours hésitantes dans leur conduite et timides dans leur concours, adhéraient aux Bourbons par leurs intérêts, mais s’en séparaient par leurs méfiances, et sans vouloir une révolution la rendaient un jour inévitable. Ainsi le trouble était partout, et la vérité nulle part ; ainsi le pouvoir avait à lutter contre ses serviteurs autant que contre ses ennemis, et le gouvernement représentatif, qui n’est possible qu’à la condition de voir les institutions fondamentales loyalement acceptées par tous les partis, commençait au sein du mensonge et de l’hypocrisie universelle.


L. DE CARNÉ.