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Tolède, et sa tante Filippa, grosse matrone chargée de colliers et de chaînes d’or, comme la mule du saint-sacrement. Geronimo perdit contenance devant cette assemblée de famille, malgré l’indulgence qui adoucissait les visages des parens et le plaisir qui animait les beaux yeux de la jeune veuve.

— Mes amis, dit le chanoine, l’embarras où vous voyez don Geronimo Troppi vient d’un cœur honnête et sincèrement touché qui mérite vos encouragement et votre bonté. Le plus difficile est fait, puisque mon protégé a su plaire. Compère Michel, et vous dame Filippa, voilà ce que c’est que la jeunesse : on se rencontre, on se regarde et on s’aime. Tandis que vous répandiez les lumières sur vos contemporains en vendant des lampes Carcel, votre aimable fille lançait d’autres feux plus dangereux, et il se trouve un beau jour qu’elle est pourvue d’un second mari au moment où vous y pensiez le moins. L’église y perdra un bon sujet ; mais laissons cela, de peur d’augmenter encore la timidité da nos amoureux, et, pour les mettre à l’aise, causons, pendant un quart d’heure, de la pluie et du beau temps.

— Le temps est beau, dit Lidia impétueusement, et le sujet dont vous parlez nous plaît à tous, monsieur le chanoine. Mon père approuve mon choix. Avec beaucoup de gentillesse, vous avez su dire comment nous nous sommes aimés, en nous regardant, le seigneur Geronimo et moi ; mais ne vous imaginez pas que je sois une tête folle et légère. Oh ! je suis au contraire bien prudente. J’ai pris des informations sur votre protégé, en faisant jaser les commères ; l’on m’a dit qu’il vivait sagement, qu’il ne dépensait rien au-delà de son revenu, qu’il n’était ni joueur ni mauvais sujet, et le seigneur Geronimo a confirmé ces rapports favorables en me parlant mariage dans sa première lettre. Alors j’ai passé en revue les cinq autres personnes qui m’honoraient de leurs recherches : deux de ces prétendans sont des dons Limone, plus amoureux d’eux-mêmes que de moi, le troisième un enjôleur de filles, incapable de faire un mari tranquille ; le quatrième un joueur, qui tient les cartes du soir au matin et qui négligera toujours sa femme pour la bazzica ; le cinquième, fort honnête homme d’ailleurs, est trop querelleur et trop fanfaron ; son accent calabrais est cause qu’il n’a point réussi à me plaire, et puisqu’il ne me plaît point, je ne saurais l’épouser, n’est-il pas vrai ? Ai-je manqué de prudence ou de sagesse en amusant ces adorateurs par des lenteurs et des discours inutiles ? Que faut-il à une veuve pour se décider à un second mariage ? Sentir de l’inclination pour une personne de bonnes mœurs et d’un heureux caractère. Ce sont les yeux de mon corps qui ont distingué le seigneur Geronimo ; mais je l’ai aussi regardé avec ceux de ma raison, et j’ai vu ce que j’ai vu, car je suis bien fine, allez, monsieur le chanoine ; et puis j’ai un père tendre et