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à votre aide ? A merveille ! mais pourquoi ? Vous n’y avez pas songé. C’est parce que vous croyez que votre ingrate est la plus belle, la plus aimable des femmes, et que jamais vous ne retrouverez un trésor qui la vaille. Or, c’est une erreur que vous partagez avec tous les amans maltraités. Il n’y en a pas un qui, dans un temps plus ou moins long, ne reconnaisse la susdite erreur. Si donc on vous obligeait à la reconnaître sans attendre ce délai fâcheux, ne serait-ce pas autant de gagné ? Cherchez, examinez, regardez, furetez, vous verrez que le monde est tout plein de femmes belles, bonnes et aimables ; et quand vous aurez vu cela, vous serez consolé, vous vous marierez, et vous me ferez un cadeau de noce.

— Hélas ! mon cher Marco, répondit l’abbé, je sais bien qu’il y a d’autres femmes bonnes et belles ; mais Lidia seule existe pour moi. Lidia ne m’aime point, et c’est pourquoi je veux mourir.

— Quelle diable de raison est cela ! reprit Marco. Chacun a ses goûts et ses penchans. Vous êtes amoureux ; moi j’aime le vin. Je rends justice à tous les bons crûs. Le marsala me plaît ; la moscatelle m’enchante : voit-on que je sois indifférent au lacryma christi ? Point du tout. Si vous regardiez, le matin, ces escadrons de jolis visages qui entrent dans les églises et qui vont déposer le fardeau léger de leur conscience dans l’armoire aux péchés, vous seriez étonné des richesses et de la variété de tant de jeunes appas. Faites donc comme moi, et dites-vous : « Lidia est belle ; mais voici bien d’autres femmes qu’on lui peut comparer. Il serait barbare de les mépriser, parce qu’une ingrate me dédaigne ou me trompe. » C’est alors que vous serez raisonnable dans vos goûts et penchans.

— Il ne s’agit point de goûts et de penchans, s’écria Geronimo. Il s’agit d’une passion malheureuse, dont je confesse la folie, mais que je ne puis surmonter, qui m’assassine et m’inspire cette envie de mourir. Au lieu de me prêcher inutilement, dites-moi plutôt par quel moyen je pourrais me débarrasser d’une vie insupportable, sans offenser le ciel, car je ne voudrais point perdre mon ame avec mon corps.

Un éclair de malice sortit des yeux rouges du clerc de notaire.

— C’est différent, seigneur Troppi, dit-il, je déteste les esprits tracassiers. Je n’insiste plus. Débarrassez-vous de la vie. Je n’ai pas qualité pour vous suggérer l’échappatoire que vous souhaitez ; mais je vous adresserai à bonne enseigne. N’allez point demander une pareille consultation à des ignorans ou à des jansénistes. Un de mes amis qui n’est pas d’église, mais plus savant qu’un archi-prêtre, et qui a écrit sur les cas de conscience, vous indiquera le droit chemin. Attendez que je vous donne une lettre pour l’illustrissime docteur Jean Fabro.

Le clerc prit la plume, et il écrivit le billet suivant :

« Docteur Jean, je t’envoie un petit Biscéliais, qui voudrait mourir