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de police n’était pas obligé à autre chose, mais le rapport ayant été répété devant un magistrat, la calomnie a repris autant de corps qu’il lui en fallait pour devenir passible de la pénalité légale. Malgré tout le respect dont on doit entourer le cours régulier de la justice, nous n’en regrettons pas moins qu’il ait semblé indispensable de produire ces niaises imaginations au grand jour d’une audience. Il n’y avait là rien à gagner pour personne. Ce procès touchait de si près à des intérêts et à des positions politiques, que la magistrature a vraiment eu trop de peine à le renfermer dans les proportions beaucoup plus étroites d’un intérêt purement judiciaire. Cette peine n’a même pas toujours été couronnée par le succès, et la politique a percé plus souvent qu’elle n’aurait dû, surtout dans le langage du parquet. Le parquet avait trop clairement une opinion faite et tranchée sur des points qui n’étaient pas au procès, et sur lesquels il eût été plus convenable et tout aussi utile à la cause du bon droit de ne pas s’ouvrir avec une façon si provoquante. Allais a été condamné, et il est resté démontré ce que le pourvoi déjà interjeté ne renversera guère, à savoir que M. Yon, le protecteur si mal récompensé d’Allais, était ou un très médiocre commissaire de police ou un trop mystérieux personnage. Ces deux qualités n’étant pas en rapport avec la mission de vigilance qui lui était confiée, M. Yon ne pouvait plus, dans la pensée du ministre de l’intérieur, remplir suffisamment auprès de l’assemblée nationale une tâche où il s’était déjà si compromis. Le ministre de l’intérieur a donc dû proposer au bureau de l’assemblée la révocation de M. Yon, son commissaire spécial. C’est là, c’est sur cette misérable pierre d’achoppement qu’allaient se heurter les deux pouvoirs qui gouvernent la France. On ne le croirait pas, si l’on ne se rendait compte de bien des circonstances de temps et de personnes.

L’assemblée est souveraine ; elle a son armée, elle peut bien avoir sa police, Au point de vue de la doctrine, c’est un empiétement du législatif sur l’exécutif ; au point de vue du fait et du moment, c’est un ordre de choses contre lequel nous n’avons pas la moindre objection, parce que, sincèrement animés comme nous le sommes de l’esprit parlementaire, nous voulons à tout prix que le parlement ne dépende que de lui-même, et nous le voyons sans scrupule armé de pouvoirs extraordinaires pour faire face à des rencontres qui ne le seraient peut-être pas moins. Le difficile est d’user de ces pouvoirs avec la discrétion qui les ménage, car c’est une tentation naturelle, mais dangereuse, de vouloir constamment employer toute la force qu’on a. L’assemblée, par exemple, ayant une police, il s’ensuit qu’il faut que cette police ait quelque chose à faire, et celle-ci, investie du droit de protéger une sécurité si indispensable, est malheureusement exposée à conclure que cette sécurité a toujours un ennemi quelque part.

On assure que M. Yon a été très utile et très dévoué dans l’échauffourée du 15 mai ; nous n’en doutons pas, seulement nous avons lieu de croire que ses meilleurs titres ne remontent pas si loin. Ce dont on sait le plus de gré aux gens qui vous servent, c’est de deviner où leurs services vous seraient le plus agréables. La commission de permanence était si jalouse et si fière d’exercer sa tutelle provisoire, qu’il ne lui déplaisait pas de s’exagérer un peu les périls au milieu desquels elle remplissait ce devoir délicat. Assidu à prendre les ordres des vingt-cinq, M. Yon ne pouvait manquer de démêler et bientôt de partager ce