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ESSAI SUR LES CAUSES INDIVISIBLES, ET CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES DIFFÉRENTES MATIÈRES OU SE RENCONTRE CETTE INDIVISIBILITÉ EN DROIT ROMAIN ET EN DROIT FRANÇAIS[1]. — Il y a quelques années, le droit n’était considéré en France que du côté pratique. Les hommes d’affaires ne nous ont jamais manqué, mais les traditions élevées de la science semblaient s’être perdues dans la patrie des Cujas et des Dumoulin. Au milieu des grands travaux de reconstruction historique qui seront un des plus sérieux titres du XIXe siècle, l’étude du droit ne pouvait échapper à l’influence salutaire de ce nouvel esprit. Tandis que des écrivains éminens renouvelaient avec une impartialité supérieure l’histoire des institutions, l’histoire de la philosophie et des littératures comparées, il était difficile que les jurisconsultes ne fussent pas attirés peu à peu hors du cercle où s’enfermait leur pensée. La lumière produite par ces travaux et l’influence de l’école historique allemande ont éveillé, en effet, chez un petit nombre d’intelligences distinguées, le goût de l’histoire et de la philosophie du droit. Les remarquables leçons de M. Blondeau, les doctes et profondes recherches de M. Giraud, de M. Laboulaye, de M. Berriat-Saint-Prix, de M. Klimrath, de M. de Parieu, de plusieurs autres encore dont tous les esprits studieux savent les noms, attestent d’une façon honorable pour la France ces heureuses tentatives de rénovation scientifique. Les écrits qui se rattachent à cette excellente direction méritent d’être signalés avec intérêt. C’est à ce titre que se recommande l’Essai sur les Causes indivisibles de M. Édouard Taillandier. En traitant une des plus difficiles matières, une de celles qui ont le moins occupé jusqu’ici l’attention des jurisconsultes, l’auteur a été amené à commenter l’histoire du droit à ses différens âges. Le premier volume, que nous annonçons, est consacré à l’indivisibilité des causes dans la législation romaine ; le second poursuivra cette recherche dans les diverses périodes du droit français. Quelles sont les causes indivisibles ? Dans quel cas l’appel profite-t-il à d’autres qu’à l’appelant ? Ce problème, tout spécial en apparence, se lie à des questions d’une importance générale, aux progrès des institutions et des mœurs, aux révolutions de la jurisprudence, et l’on voit que l’auteur de l’Essai, sans négliger le côté technique de son sujet, saisit avec empressement toutes les occasions de l’éclairer par la philosophie et l’histoire. Sur les jurisconsultes romains et leur action législative, sur le mérite des glossateurs, sur les innovations et les ruses du droit prétorien, sur l’origine et les développemens des contrats, des mandats, des stipulations prétoriennes, sur le caractère et la destruction de la famille romaine primitive, on trouvera dans l’ouvrage de M. Édouard Taillandier une foule de recherches curieuses, de résultats neufs et nettement formulés. La comparaison de la procédure romaine et de la nôtre fournit aussi à l’auteur des remarques instructives, et la nature si singulière, si complexe, des fictions juridiques de Rome est élucidée avec précision et vigueur. Cette étude, en un mot, adressée particulièrement aux jurisconsultes, n’intéresse pas moins l’histoire générale et les transformations de l’esprit humain.


V. DE MARS.
  1. Par M. Édouard Taillandier. Paris, 1850 ; Cotillon, 16, rue des Grès.