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décharges de mitraille les eussent rompus, notre cavalerie les eût entourés, il n’en serait pas échappé un seul homme. Cependant le général Zeisberg, sachant de quelle importance il était d’arriver à Casimir avant l’ennemi, ne voulut pas arrêter la marche de la colonne pour les attaquer, et ces honveds étonnés nous virent impunément passer à quelques portées de leur front ; le général se contenta de m’envoyer à Neudorf pour voir si l’ennemi n’y avait pas laissé d’artillerie ; j’y allai avec un peloton de dragons. Comme je courais à la sortie du village pour avoir une vue plus étendue, une centaine de balles volèrent sur nous ; les chevaux des dragons se cabrèrent, se renversèrent les uns sur les autres, et je vis au milieu de la fumée une compagnie de honveds qui filait derrière les haies. Nous arrêtâmes les voitures de bagages qu’ils escortaient : ces voitures appartenaient à des officiers ennemis. Les dragons rompirent les coffres et s’emparèrent de tout ce qui était à leur convenance. Un de ces dragons me tendit des livres qui étaient au fond d’une caisse : c’était notre règlement militaire. Je lançai dans une mare ce malencontreux volume qui venait me rappeler les ennuis de la vie de garnison. On trouva aussi un grand portefeuille de maroquin noir, contenant un portrait de femme avec un grand nombre de lettres adressées à un officier de hussards. Je gardai ces lettres, qui me promettaient une lecture amusante.

Le 17 décembre au matin, nous reçûmes l’ordre de nous rendre à Sommerein, sur la rive droite de la Leitha, pour nous rapprocher du gros de l’armée et former l’avant-garde. J’allais monter à cheval, quand un des employés de la seigneurie sur les terres de laquelle nous avions bivouaqué pendant la nuit vint me prier de l’introduire auprès du ban ; il tenait à la main une poignée de plumes de paon je me doutai aussitôt de quoi il s’agissait. La veille au soir, passant devant les bivouacs de nos chasseurs, je les avais vus retirer du feu une belle volaille rôtie ; je m’étais arrêté, et ils m’en avaient offert u n morceau. J’avais accepté de grand cœur. Or, cette volaille était un paon tué par nos chasseurs dans le parc qui nous servait de bivouac, et qu’ils avaient fait rôtir en compagnie de deux canards de Barbarie, dont l’employé m’énuméra complaisamment toutes les bonnes qualités. Ma conscience n’était pas très nette à l’endroit du paon ; je cherchai à persuader au pauvre homme que le ban n’aimait pas qu’on vînt se plaindre de ses soldats. Comme il insistait, je me fâchai, et lui dis un peu vivement de me laisser tranquille : l’employé se retira en murmurant, et le ban Jellachich aura passé à Casimir pour un tyran, parce qu’un de ses capitaines d’état-major avait la veille mangé du paon rôti !

Nous arrivâmes à Sommerein dans l’après-midi ; le lendemain, le ban alla avec quatre divisions de cavalerie et six pièces de canon faire