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marche en nous avançant lentement et avec précaution. Georgey, se voyant tourné par la marche du ban, avait renoncé à défendre la position de Raab, et s’était retiré le matin même par la route de Pesth : nous passâmes devant les redoutes élevées au sud de la ville ; ces redoutes étaient construites d’après toutes les règles de l’art ; entourées de doubles fossés profonds, elles dominaient toute la campagne, et la prise de ces positions aurait coûté beaucoup de sang.

Dès que le prince Windischgraetz fut arrivé à Raab, il envoya la brigade de cavalerie du général Ottinger, qui faisait partie de notre corps, à la poursuite de l’arrière-garde de Georgey ; le général Ottinger marcha toute la nuit, atteignit l’ennemi au point du jour auprès de Babolna, attaqua l’arrière-garde, et la culbuta. Le soir, après avoir été plus de trente heures en marche, le général rentra à Raab avec sept officiers, sept cents hommes et un drapeau pris aux Hongrois. Les officiers prisonniers étaient presque tous d’un régiment autrichien qui avait trahi son serment, le régiment impérial de Prusse-infanterie. L’un de ces officiers, nommé Daiewski, fut reconnu, malgré ses blessures qui le défiguraient, par plusieurs des nôtres qui avaient été avec lui à l’école militaire de Neustadt ; les uns s’apitoyèrent sur le prisonnier et lui donnèrent quelque argent, les autres l’insultèrent en lui reprochant sa félonie ; aussitôt deux partis se formèrent. — Pas de pitié pour les traîtres ! criaient les uns. — Respectez les blessés ! disaient les autres. La querelle, s’échauffait : à la guerre, on a les passions vives ; les sabres étaient tirés, et le sang allait couler, lorsque le colonel Schobeln vint calmer les partis.

Le général Ottinger fonda, dès ce jour, cette brillante réputation qui attira bientôt sur lui les regards de toute l’armée ; sa brigade, formée des deux régimens de Hardegg et de Wallmoden, ne fut pendant toute la campagne jamais rompue par l’ennemi ; là où passaient ses cuirassiers pendant la bataille, la terre se couvrait de cadavres, et les Hongrois ne les appelèrent bientôt plus que les bouchers d’0ttinger.

Le ban quitta Raab, le 29 au matin, avec son corps d’armée ; les officiers et les soldats, qui avaient espéré une bataille, commençaient à murmurer hautement. Si toute la guerre consiste à se promener dans les plaines de la Hongrie sans jamais chercher à atteindre l’ennemi, on aurait aussi bien fait, disaient-ils, de choisir une autre saison. L’on s’était d’abord bercé de l’espérance que les Hongrois, reconnaissant notre supériorité, allaient à notre vue déposer les armes ; maintenant chacun sentait qu’il fallait anéantir cette armée ennemie qui portait dans son sein le foyer et la force de la révolte. Nous arrivâmes à Kis-Ber dans l’après-midi du 29, et nous logeâmes dans un beau château appartenant au comte Casimir Batthyanyi ; les salons étaient ornés de plusieurs portraits de femmes d’une beauté remarquable ; c’étaient les