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portraits des plus belles femmes de la Hongrie, peints dans le goût de Raphaël Mengs, vers le milieu du siècle dernier. Je connaissais assez la Hongrie pour ne pas m’étonner qu’on eût pu y trouver tous ces types de beauté ; la race hongroise est une des plus belles qu’il y ait en Europe ; le sang oriental s’est conservé très pur non-seulement dans les familles nobles, mais même dans des comitats tout entiers et dans toutes les classes. Les femmes hongroises sont belles, et, lors même que l’ensemble n’est pas parfait, de grands yeux noirs et veloutés taillés en amande, un regard plein d’ame, un profil élégant, des cheveux traînant jusqu’à terre témoignent de la beauté de la race première.

Vers le soir, une de nos patrouilles ramena quelques soldats ennemis qu’elle venait d’enlever sur la route de Moor. Ces prisonniers étaient du corps de Perczel, et nous apprîmes par eux que ce général, après avoir été empêché par la marche de notre corps de se réunir à Georgey devant Raab, était redescendu au sud jusque vers Papa, et qu’il était maintenant à Moor avec dix mille hommes et vingt-quatre pièces de canon, d’où il allait marcher vers Ofen pour se réunir à l’armée de Georgey. Le ban résolut aussitôt d’aller l’attaquer, il voulait partir avec tout son corps à l’entrée de la nuit ; mais Moor est situé au milieu de la vaste forêt de Bakony, et l’ennemi, profitant de l’obscurité de la nuit, aurait pu nous échapper sur ce terrain qui nous était inconnu. Le ban, ayant tenu conseil avec le général Zeisberg, ordonna que les troupes se mettraient en marche le lendemain à quatre heures du matin. Nous restâmes à table une partie de la nuit, caressant déjà l’espérance du succès. Enfin nous allions atteindre l’ennemi ! mais nous avions été si souvent trompés dans cette attente, que les officiers croyaient ou faisaient semblant de croire que cette fois encore quelque contre-ordre allait nous arrêter, nous arracher la victoire. Quelques-uns d’entre nous, s’approchant du ban, le prièrent de nous promettre qu’il nous mènerait à l’ennemi : le ban jura qu’il atteindrait Perczel, « quand même, ajouta-t-il en riant, il devrait le poursuivre jusqu’en Asie ; » puis, élevant son verre : « A notre victoire ! dit-il ; à ceux qui se distingueront demain dans le combat ! » Un zivio[1] retentissant, trois fois répété selon l’usage croate, fit résonner la salle.

Nous quittâmes Kis-Ber à quatre heures du matin (30 décembre). Le froid se faisait vivement sentir ; nous marchions au milieu de la forêt sur la grande route qui va de Raab à Sthuhlweissenbourg[2]. Vers huit heures, le soleil dissipa la brume qui nous entourait et se montra sur un ciel pur et sans nuages. À neuf heures, nous allions

  1. Le vivat des Croates.
  2. Et non pas sur un sentier étroit serpentant à travers des marais glacés, comme l’écrit l’auteur d’un roman intitulé : Souvenirs des bivouacs et des champs de bataille pendant la guerre de Hongrie.