Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obéir, il fit ainsi entrer dans ses caisses des quantités immenses de billets de banque impériaux : ces billets, qui avaient naturellement cours dans toute l’Autriche, et étaient acceptés par les banquiers dans tout le reste de l’Europe, servirent à acheter des armes, à payer des émissaires, à fomenter la révolution en Italie, à payer des trahisons de toute sorte et à créer pour l’avenir aux chefs de la rébellion des ressources en pays étranger.

Notre inaction à Pesth n’avait pas seulement pour funeste résultat de laisser à l’ennemi le temps de s’organiser et de se fortifier sur la Theiss : dans une autre partie de la Hongrie, Georgey en profitait pour se porter contre le corps du général comte Schlick, déjà menacé par Klapha[1], et exécutait librement une série d’opérations qui devait se terminer par sa jonction avec l’armée de la Theiss. Désormais l’audacieux général voyait ses communications rétablies avec les corps d’armée qui s’organisaient derrière la Theiss et avec le gouvernement révolutionnaire de Debreczin. Dès ce moment aussi, la fortune commença à sourire aux Hongrois. Dembinski, général polonais expérimenté, vint prendre le commandement des corps réunis sur la Theiss, et toutes les troupes hongroises organisées pendant ces six semaines furent alors partagées en sept corps : — le premier corps, ayant pour chef Klapka - le second, Repassy ; — le troisième, Damjanich ; — le septième, Georgey ; — les troupes qui soutenaient la guerre au sud de la Hongrie contre les Serbes et en Transylvanie à l’est contre le général Puchner prirent le nom de quatrième, cinquième et sixième corps.

J’avais passé à Moor, chez le comte Schönborn, ces quelques semaines pendant lesquelles notre armée ne s’était pas éloignée de Pesth. Enfin, le 12 février, je pus me mettre en route pour Pesth, et je quittai, pénétré d’un profond sentiment de reconnaissance, la maison du comte[2]. J’arrivai à Ofen quelques heures après avoir quitté Moor. Bâtie sur une hauteur, avec ses maisons de toutes les couleurs serrées les unes contre les autres et toutes plus hautes que larges, Ofen a l’air d’une de ces villes que les enfans construisent avec des blocs de bois peint ; mais quand, après avoir dépassé la hauteur sur laquelle s’élèvent les maisons d’Ofen, on débouche sur le quai, l’horizon s’élargit tout à coup : la vue s’étend sur le Danube et sur la ville de Pesth, reliée à Ofen par un superbe pont de fer. Pesth est une ville de luxe et d’élégance.

  1. Le corps du général comte Schlick, entré en Hongrie par la frontière septentrional dès le 2 décembre, avait depuis ce jour battu l’ennemi dans plusieurs rencontres ; mais, séparé du reste de l’armée, il dut à regret se replier vers Pesth, après avoir donné aux autres corps un noble exemple d’énergie et de persévérance.
  2. À cette époque, il était dangereux en Hongrie de recevoir un officier impérial, et, peu avant la bataille de Moor, le comte avait été obligé de se sauver dans la forêt pour échapper aux paysans révoltés qui venaient l’arrêter.