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jusqu’à la frontière de la Hongrie, pour la reporter ainsi sur sa base d’opérations ; c’était là seulement qu’il pouvait rassembler des renforts, réunir toutes les ressources de l’empire et attendre le moment de reprendre l’offensive. Voici le plan qu’il adopta pour la retraite de l’armée : « Le second corps et le troisième corps se retireront jusqu’à la hauteur de Presbourg, et y prendront position ; la gauche s’étendra sur la rive droite de la March, le centre sera à Presbourg, la droite ira s’appuyer au lac de Neusiedl ; le premier corps descendra sur la rive droite du Danube jusqu’à Eszek, prendra position sur le Bas-Danube, couvrira la Slavonie et la Croatie d’Eszek à Peterwardein, en appuyant sa droite sur les troupes impériales qui cernent cette dernière forteresse. » Le général Welden résolut aussi de laisser une garnison pour garder la forteresse d’Ofen ; il indiquait par là que nous n’allions nous retirer que pour reprendre bientôt l’offensive, et ménageait l’opinion publique étonnée de notre retraite. La nuit du 23 au 24 avril fut fixée pour l’évacuation de Pesth.

Le 19 avril, le plan de retraite étant déjà arrêté, notre corps et celui du général Schlick s’avancèrent jusque sur le front des positions occupées par l’ennemi, afin de l’inquiéter et de le tromper sur nos projets. Les Hongrois s’étant retirés à notre approche, nous revînmes à l’entrée de la nuit occuper nos bivouacs ; on avait tiré depuis douze jours une telle quantité de coups de canon sur le chemin qui mène à Csinkota, que l’on voyait çà et là sur l’herbe fine des boulets et des éclats d’obus, et, aux places où avaient éclaté des shrapnels[1], la terre était couverte de balles comme si on les eût lancées à poignées.

Chaque soir, les officiers qui n’étaient pas de service au camp venaient, comme si nous eussions été en pleine paix, s’asseoir dans les loges de l’opéra ; quelques femmes élégantes de la noblesse de Pesth attachée à l’empereur recevaient dans leurs salons, et, le spectacle fini, nous allions chez elles achever la soirée, pendant que nos chevaux sellés attendaient dans la cour de leurs hôtels, prêts à nous porter aux avant-postes en cas d’alarme. Ces heures ainsi passées avaient un grand charme, et souvent elles me sont revenues à la mémoire ; le matin, nous étions encore en présence de l’ennemi les boulets volaient, portant la mort dans nos rangs, et maintenant une causerie de salon venait remplacer les cris furieux des soldats dans la mêlée. Pendant que dans d’autres familles on préparait des bouquets pour Kossuth et ses compagnons, ici l’on faisait des vœux pour le succès de la cause impériale, et, quand l’heure avancée de la nuit nous rappelait au camp, quelques mots d’adieu nous encourageaient encore à combattre vaillamment pour le salut de la Hongrie, pour la cause que nous défendions. Cet

  1. Obus à mitraille.