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m’accroupis dans l’embrasure de la fenêtre, d’où je pouvais voir, en appuyant le visage contre la grille, le pont qui est devant la porte de Belgrade sur le fossé : c’était par cette porte que Gerberich devait rentrer le soir. Je n’étais pas sans inquiétude, mais cependant prêt à tout. Trois heures venaient de sonner, j’entends des pas dans le corridor devant la casemate ; des crosses de fusil résonnent ; la porte s’ouvre, Kussmaneck paraît sur le seuil, un officier et quatre soldats le poussent par les épaules jusqu’au milieu de la casemate ; l’officier s’arrête, me regarde long-temps avec une expression de colère mal contenue, puis il sort et me laisse seul avec Kussmaneck.

L’émotion nous oppressait tous deux, et nous ne pouvions nous parler. Exprimer des regrets n’était pas digne d’un homme ; Kussmaneck marchait dans la casemate, les mains croisées derrière le dos ; j’étais assis sur mon lit, et, comme ébloui par toutes les idées qui se pressaient dans ma tête, je sentais une émotion extrême ; pour la surmonter, je dis enfin à Kussmaneck en m’efforçant de paraître calme : Eh bien ! que va-t-on faire de nous ? -Vous le savez bien, capitaine, me dit-il d’un ton tranquille ; nous serons fusillés avant que les vingt-quatre heures soient écoulées.

Quelques instans après, on vint le chercher pour l’enfermer ailleurs. Je passai toute la soirée à marcher dans la casemate, comprimant les battemens de mon cœur et cherchant à me calmer par la pensée que j’étais dans la même situation qu’un officier qui, blessé mortellement dans un combat, sait qu’il n’a plus que quelques heures à vivre ; pendant ces heures, me dis-je, il lutte avec la souffrance, et moi je suis encore en ce moment plein de force et de vie. Vers minuit, brisé par l’émotion, je m’étendis sur mon lit et m’endormis profondément.

Le lendemain, 28 mai, je me réveillai vers sept heures du matin. Je me sentis plein de force, j’allai à la fenêtre : le temps était superbe ; je pensai que toute la population de la ville viendrait assister à l’exécution, et je résolus de montrer à ces Hongrois avec quelle intrépidité les soldats de l’empereur marchaient à la mort, me répétant sans cesse avec orgueil : Je suis gentilhomme et officier de l’empereur !

À neuf heures, un prévôt hongrois vint me chercher ; deux soldats marchèrent derrière moi. La rue était pleine de monde ; je passai devant ces groupes la tête haute. On me conduisit dans la salle où se tenait le conseil ; sept officiers et un auditeur[1] étaient assis autour d’une table ; mes yeux cherchèrent à lire sur leur visage les sentimens qui les animaient. Un des jeunes officiers détourna la tête, comme si son cœur eût d’avance protesté contre le jugement ; les autres étaient sérieux et impassibles ou avaient sur les lèvres un sourire ironique.

  1. Juge militaire.