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Bobek, ignorant comment l’offre qu’il m’avait faite avait été connue des Hongrois, a pu croire que la crainte de la mort m’avait arraché cet aveu, et que je l’avais vendu ; cette idée m’a long-temps tourmenté.

On me reconduisit dans ma casemate. Deux longues journées s’écoulèrent : par instans, je retrouvais l’espérance ; mais je repoussai de mon cœur les combats que cette espérance, qui pouvait être trompeuse, venait livrer à la sombre résignation qui me soutenait. L’espérance semblait vouloir par instans me redonner la vie, et puis, un moment après, elle me livrait à la mort ; je la rejetai avec colère.

Le jeudi 31 mai, le prévôt me dit que la sentence du conseil de guerre avait été envoyée à Debreczin au ministère hongrois par le général Paul Kiss[1], qui avait remplacé Perczel dans le commandement de la forteresse. Je comptai le nombre de jours qu’il fallait au courrier pour revenir de Debreczin. Sachant que l’armée du ban devait être en marche, je l’appelais de tous mes voeux, espérant que son approche m’apporterait peut-être quelque chance favorable, et que, quand même la réponse de Debreczin parviendrait dans la ville, on n’oserait peut-être pas exécuter la sentence pendant que le ban serait devant la forteresse ; le temps s’écoulait dans ces douloureuses alternatives. Enfin, le 12 juin au matin, le canon commença à tonner au-dessus de ma tête et sur les remparts[2]. Les Hongrois ne cessèrent de tirer pendant toute la journée ; le soir, une lueur rouge éclaira toute la contrescarpe ; je pensai que les faubourgs brûlaient. Le lendemain, dans l’après-midi, le canon recommença à tonner ; mais le feu cessa au bout d’une demi-heure. Chaque jour, j’entendais quelques coups de canon ; je savais ainsi que l’armée du ban était devant Neusatz, et cernait la forteresse sur la rive gauche. Le courrier envoyé à Debreczin ne pouvait rentrer : je recouvrai quelque espérance ; mais, vers la fin de juin, le canon cessa de gronder pendant plusieurs jours ; le ban devait être parti[3].

Le 2 juillet, comme je marchais lentement dans ma casemate, je vis venir sur le seuil de la porte un officier hongrois, capitaine d’artillerie ; il s’arrêta un moment pour me regarder en face ; je continuai de marcher ; il saisit par l’épaule la sentinelle qui gardait la porte et lui dit : « Prends garde que ce chien ne s’échappe, tu m’en réponds. »

  1. Le général craignit sans doute, sachant la marche du ban, de prendre sur lui de faire exécuter la sentence, ou peut-être fut-il poussé à quelque sentiment de pitié par le major Bozo, ancien officier impérial, homme d’honneur, quoique servant dans l’armée des révoltés, qui, espérant pour moi quelque chance favorable, le conjura, comme je l’ai entendu dire depuis, d’envoyer la sentence à Debreczin avant de la faire exécuter.
  2. Le ban attaquait la tête du pont de bateaux qui réunit la ville de Neusatz à la forteresse de Peterwardein ; les Hongrois ouvrirent sur Neusatz le feu de cent vingt pièces de canon, forcèrent l’armée du ban à abandonner la ville et la réduisirent en cendres.
  3. Il était allé prendre position sur le Franzens-Canal.