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l’abbé chercha du regard les affiches de spectacle. Ce fut à la porte du théâtre seulement, et en payant le fiacre, qu’il lut le titre de la pièce nouvelle : le Jettatore, avec Pancrace biscéliais. Les élégans, les beaux esprits et le Calabrais étaient déjà dans la salle. On avait frappé les trois coups. Le petit orchestre jouait l’ouverture. Enfin la toile se leva, et l’on vit arriver don Pancrace affublé de tous les préservatifs des mauvais sorts : les cornes de bœuf, les mains de corail, le rat en lave du Vésuve, le cœur, les fourches et le serpent. Un éclat de rire l’accueillit à son entrée, selon l’usage, et puis il s’avança d’un air piteux au bord de la rampe pour confier au public ses frayeurs superstitieuses.

— Messieurs, dit-il, si j’ai oublié quelque chose, avertissez-m’en par charité. Ces grosses cornes que je porte sous chaque bras préservent mon front d’un pareil ornement. Ce n’est pas ce qui me tourmente le plus ; dame Pancrace est incapable de me manquer de fidélité. En tournant cette main de corail, dont l’index et le petit doigt sont ouverts, du côté des gens de mine suspecte, j’éviterai les influences pernicieuses. Ce rat est chargé de ronger tous les papiers, timbrés ou autres, qui pourraient me donner du souci. Cette fourche m’empêchera de m’égarer dans mon chemin, et ne manquera pas d’écarter tous les petits accidens. Ce serpent me gardera des mauvais tours et perfidies, et ce cœur de cornaline est un talisman certain contre les embûches, et l’on m’a dit qu’à présent je pouvais me hasarder dans la rue de Tolède. Je vois avec satisfaction qu’on est en sûreté à Naples. Et qu’à mois d’oublier une seule précaution, un homme prudent ne court aucun risque dans cette capitale; cependant je ne suis pas sans inquiétude. J’ai fait un mauvais rêve, et j’ai grande envie de retourner à Bisceglia.

Sur ce, don Pancrace racontait son rêve d’où il tirait toutes sortes de pronostics. Au milieu de ses hypothèses, il voyait la figure hétéroclite de Tartaglia, ainsi nommé à cause de son bégaiement, le Tartaglia est un type napolitain en grande faveur, comme le Pancrace. Il représente le méridional usé par le climat, souffrant d’une ophthalmie chronique et dans un état voisin du crétinisme. Ses joues creuses, son long nez surmonté d’énormes lunettes bleues, son air malade et son vice de prononciation constituent les signes particuliers du jeteur de sorts, dont la rencontre est dangereuse. En effet, tous les accidens possibles viennent fondre, en un jour, sur le pauvre Pancrace. Tandis qu’il s’embrouille dans ses amulettes, un filou lui vole son mouchoir, un autre sa tabatière, un troisième sa montre. Polichinelle se déguise en huissier pour lui signifier un faux exploit. Une fille délurée feint de le prendre pour son amant que des corsaires avaient emmené en Barbarie ; elle l’embrasse et l’obsède de ses caresses. Pancrace veut