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dédains et ma cruauté; mais le mal que j’ai fait m’est cent fois rendu. Hélas ! pauvre moi ! que vais-je devenir, seule au monde, dans ce grand univers si vide et si sombre depuis que j’ai perdu mon Geronimo !

— Allons, reprit le docteur, ne pleurez pas. Je vous promets de parler à Geronimo, de lui demander une entrevue, et, s’il consent à vous voir, je ne doute point que son amour ne se réveille.

— N’y comptez pas, dit l’oncle biscéliais : mon neveu est homme d’église.

Lidia quitta le docteur et s’empara vivement du bras du vieux Biscéliais.

— Vous êtes son oncle! s’écria-t-elle. Ah ! ne vous mettez pas contre moi. Je suis assez à plaindre. Ayez pitié d’une pauvre femme déchirée par ses regrets. Votre neveu ne perdra rien à m’épouser. Je suis riche. Mon premier mari m’a laissé du bien, et mon père, qui gagne plus de mille ducats l’an à vendre des lampes, n’a pas d’autre enfant que moi. Dame Filippa, ma tante, donnerait tout de suite la moitié de sa fortune pour m’empêcher de pleurer seulement, car elle est généreuse autant que sage. Hélas ! que n’ai-je écouté ses avis ! Très cher oncle, acceptez-moi pour votre nièce, je vous aimerai comme si j’étais votre fille ; je vous caresserai, je vous servirai le café moi-même, et je le fais par l’ancienne méthode italienne, en le laissant reposer sur le marc, ce qui est bien préférable à tous les nouveaux systèmes. Demandez à maître Michel, mon père, s’il lui a jamais rien manqué, quand je menais sa maison. Et à votre âge, n’est-il pas plus doux de vivre en compagnie d’enfans qui vous chérissent, que d’être soigné par des servantes mercenaires? J’animera] votre intérieur, ou bien vous viendrez dans le nôtre. Un jeune ménage bien uni, cela réjouit les bons vieillards. Je vous égaierai avec mes chansons et mes rires, et que je sois maudite si je prends une minute de repos avant qu’on vous ait servi, et je vous verserai moi-même le verre de moscatelle qui vous réchauffera le cœur, et il faudra voir le sabbat que je ferai, si l’on oublie de vous donner de l’eau pure comme du cristal. Et au lieu de vous en aller mourir dans la solitude à Bisceglia, séparé de votre neveu par l’église, vous serez entouré de petits enfans qui vous regarderont avec leurs grands yeux, en vous appelant zio carissimo, dès qu’ils sauront parler, et ils ressembleront trait pour trait à leur papa, et vous les ferez sauter sur vos genoux, en disant : Oh ! que je fut bien inspiré le jour que, dans le Vico del Campaniello, je me laissai attendrir par les pleurs de cette pauvre Lidia, qui est aujourd’hui ma nièce chérie et m’a tout environné de ces créatures si gentilles et si caressantes !

Tandis que Lidia déroulait avec une rapidité pleine de grace et de passion ce tableau de famille, une grimace semblable à un sourire