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même temps avaient été condamnés, aux Cayes, un autre vieillard presque octogénaire, le colonel Daublas, ancien maire et chef de la première maison de commerce de cette ville, le sénateur Édouard Hall, et une douzaine d’officiers supérieurs, dont un du reste, le colonel Saint-Surin, avait pris une part réelle et dirigeante au mouvement. Le président expédia l’ordre de surseoir à l’exécution jusqu’à son arrivée, qui devait avoir lieu le 9 ; mais Daublas et deux de ses compagnons furent égorgés la veille par les piquets. Soulouque, en arrivant, parut fort blessé, non pas de ce meurtre, mais de la désobéissance des piquets, et, pour les punir à sa manière, il fit grace de la vie aux autres condamnés. Leur peine fut commuée en celle des travaux publics, et en les vit dès le lendemain, avec une quarantaine d’autres malheureux de même rang qui leur avaient été donnés pour compagnons, parcourir, enchaînés deux à deux, les rues des Cayes, dont ils enlevaient les immondices sous le bâton des noirs. Les victimes de cet épouvantable arbitraire n’avaient participé, ni directement, ni indirectement, à la rébellion. C’est sur la simple dénonciation des noirs, leurs ennemis personnels ou leurs débiteurs, qu’elles avaient été réduites à cet état.

Non content d’avoir fait acte d’autorité vis-à-vis de la bande de Pierre Noir en lui refusant une soixantaine de têtes, Soulouque voulut la licencier. Il adressa donc aux gardes nationales (euphémisme officiel de piquets) une proclamation où il leur disait : « Vous vous êtes montrés dignes de la patrie ! La paix étant rétablie, retournez dans vos foyers vous livrer à vos nobles et utiles travaux, et vous reposer de vos fatigues. » A quoi les piquets répondirent qu’ils ne demandaient pas mieux que de se reposer de leurs fatigues, mais qu’on paie les gens quand on les renvoie. Soulouque crut pouvoir s’en débarrasser avec de nouveaux remercîmens et quelques gourdes. Les piquets, après avoir empoché les gourdes, dirent que ce n’était pas assez. Soulouque en conclut que l’honneur leur était plus cher que l’argent, et, au grand mécontentement de l’armée, qui devait être pourtant blasée sur ce chapitre, une véritable averse de grades tomba sur les bandits. La vanité africaine des piquets se prit d’abord à cette amorce, malgré l’abus qu’en avaient fait Pierrot et même Accaau. Pendant huit jours, on ne vit dans les rues des Cayes que plumes de coq ; après quoi les bandits, éprouvant cet immense vide que laissent au cœur les grandeurs humaines, s’écrièrent, et cette fois sur le ton de la menace : N’a pas nous, non, ia prend dans piége cilala encore ! (ce n’est pas nous qu’on reprend à ce piège !) Il faut dire que, depuis leur victoire de Cavaillon, leur nombre s’était considérablement accru, et, selon l’usage, les piquets du lendemain enchérissaient sur les exigences des piquets de la veille. Pour leur dernier mot, ils déclarèrent vouloir premièrement chacun cinq carreaux (seize arpens) de terre non en