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parmi les prisonniers de Cavaillon avait même échappé au massacre en se disant sujet français ; mais, trouvant Soulouque de si bonne composition sur un point, la bande de Pierre Noir en conclut qu’il céderait sur bien d’autres, et les Européens, les Français eux-mêmes, furent maltraités et rançonnés à leur tour, sans excepter notre propre agent consulaire aux Cayes, dont les bandits incendièrent les propriétés. À cette nouvelle, Soulouque, dont toutes les lettres à Bellegarde se terminaient invariablement par cette recommandation : Ne nous faites pas d’affaire avec les Français, Soulouque fut près de défaillir de colère et d’effroi. C’était le cas où jamais de rompre avec les piquets : à Torbeck, à Port-Salut, à Cavaillon, à l’Anse-d’Hainault, à Aquin, à Saint-Louis, autres théâtres de leurs exactions et de leurs atrocités, la population n’attendait qu’un signe muet du président pour le débarrasser de cette poignée de misérables. À Jacmel, la garnison noire et la bourgeoisie mulâtre avaient même pris l’initiative de la résistance : une bande qui avait essayé de pénétrer de vive force dans cette ville venait d’être vigoureusement repoussée en laissant prisonniers quarante des siens, et on ne doutait pas que le président permettrait d’en faire un exemple ; mais Soulouque s’était pris à réfléchir dans l’intervalle que, si les piquets venaient de lui créer de nouveaux embarras à l’endroit des étrangers, ils venaient de lui donner une nouvelle preuve de zèle à l’endroit des « conspirateurs » mulâtres, et, vu ce qu’il y aurait eu de contradictoire à confondre la récompense et le châtiment sur les mêmes têtes, son excellence donna simultanément l’ordre de faire réparation aux étrangers en les indemnisant de leurs pertes, et de faire réparation aux piquets en jetant an cachot les principaux habitans de couleur de Jacmel, dont les autorités noires furent en outre destituées. On devine le reste : les piquets continuèrent de maltraiter les étrangers, à la grande colère de Soulouque, qui se confondait de plus belle en réparations et en excuses, mais qu’ils étaient sûrs de désarmer par de nouvelles violences contre les conspirateurs mulâtres.

Cette traduction nègre de ce qu’on nomme la politique de bascule, Soulouque l’appliquait à tout. Bien loin de mettre obstacle aux émigrations de la classe jaune, l’autorité avait semblé d’abord les voir de bon œil ; mais la plupart des émigrés étant, je l’ai dit, des détaillans dont la fuite portait préjudice aux négocians étrangers, ceux-ci s’en plaignirent vivement[1]. Soulouque s’émut d’autant plus de la réclamation, que le plus clair de ses revenus (il serait désormais puéril de dire les revenus de l’état) provient des droits d’importation et d’exportation,

  1. Nous tenons à constater qu’aucun de nos nationaux ne prit part à cette réclamation. Perdre pour perdre, ils aimaient mieux voir leurs débiteurs en fuite qu’égorgés.