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c’est-à-dire du commerce avec les étrangers. L’émigration fut donc rigoureusement interdite ; un décret frappa les émigrés de mort civile et de bannissement perpétuel. Cette sévérité même était de bon augure, en ce qu’elle semblait dénoter chez Soulouque la pensée bien arrêtée de ranimer le commerce et par suite de mettre fin à ce système de terreur qui dépeuplait les boutiques pour peupler les prisons et les cimetières. Soulouque fit par malheur ce raisonnement, dont on ne contestera pas les prémisses, que, l’émigration cessant, les mulâtres resteraient dans le pays ; qu’en restant dans le pays, ils ne seraient que plus à portée de conspirer, et que ce surcroît de dangers ne pouvait être contre-balancé que par un surcroît de précautions. Pour premier surcroît de précautions, Soulouque donna ordre d’enrôler à Port-au-Prince et dans quelques autres centres tous les mulâtres valides, afin de les surveiller plus aisément, et cette presse de mulâtres condamna au chômage bon nombre de boutiques que n’avaient pu encore vider ni l’émigration ni le bourreau. Plusieurs administrations publiques cessèrent même de fonctionner, faute d’écrivains. Pour second surcroît de précautions, et bien que le fantôme d’insurrection qui l’avait appelé dans le sud fût complètement évanoui, Soulouque redoubla d’acharnement contre les mulâtres. Il n’arriva plus un seul courrier de cette partie de l’île qui n’apportât la nouvelle de quelques exécutions, et, d’un bout à l’autre de la république, les prisons regorgeaient malgré les éclaircies qu’y faisait la mort. Cinq cents et quelques suspects (ce qui est à la population d’Haïti comme environ quarante mille à la population de la France) avaient été en outre dirigés des différens départemens sur la prison de Port-au-Prince, qu’on travaillait à élargir. Il est facile de comprendre que le commerce n’en alla pas mieux. Les quelques hommes de couleur que le triple fléau de l’enrôlement forcé, des piquets et des commissions militaires n’avait pas encore chassés de leurs magasins, s’empressaient de chercher une dernière chance de salut dans l’émigration clandestine, et l’émigration ne se limitait plus aux hommes : les navires qui longeaient cette terre maudite, déjà désertée par presque tous les pavillons, rencontraient tous les jours en mer de misérables embarcations chargées de femmes et d’enfans qui essayaient de gagner la Jamaïque. Outré de tant de mauvaise volonté, Soulouque entrait dans de nouveaux accès de fureur contre les mulâtres, d’autant moins excusables à ses yeux, qu’il ne cessait de proclamer la confiance dans des ordres du jour comme celui-ci :

«… Haïtiens, une ère nouvelle surgit pour la république ! le pays, dégagé d’entraves et de tous les élémens hétérogènes qui gênaient sa marche progressive, deviendra prospère ! La plupart des traîtres ont passé sur la terre étrangère… Citoyens des Cayes, je quitte bientôt votre cité pour explorer le reste du département du Sud ! Mon séjour y a ramené le calme dans l’esprit des populations,