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et je suis heureux de dire que ce calme et la sécurité se font remarquer sur tous les points de la république, etc., etc. »

Il partit en effet 1er juillet des Cayes pour Jérémie, ville fort tranquille depuis longues années, et qui s’était vainement flattée d’échapper à cette terrible visite. Outre une partie de sa garde et trois ou quatre régimens de ligne, il emmenait avec lui une bande de piquets qui semèrent sur toute la route le pillage et l’assassinat, — une trentaine de généraux que, par défiance de leurs dispositions, il tenait à avoir sous la main, une commission militaire à laquelle il livrait de temps à autre, chemin faisant, un de ces généraux, enfin une nuée de délateurs en guenilles qui, à chaque halte du président, jouaient le rôle de peuple dans des scènes comme celle-ci, dont nous empruntons le récit à un ordre du jour du 16 juillet : « Haïtiens, la population de Jérémie, qui attendait l’arrivée du chef de l’état pour lui faire connaître ses griefs et ses voeux, s’est réunie en cette ville le 13 de ce mois. De vive voix et par pétition, elle a dénoncé comme traîtres à la patrie… » (Suivent les noms de cinquante-sept des principaux habitans : c’étaient ou des fonctionnaires dont l’état-major des piquets convoitait les places, ou des marchands qui, pour leur malheur, se trouvaient en compte courant avec les amis des piquets. Dans sa maladive prédisposition à croire à la sincérité et au dévouement de tous ceux qui flattaient ses défiances, Soulouque n’y regardait pas de plus près.) - « Haïtiens ! ajoutait le chef de l’état dans un élan de sollicitude paternelle, Haïtiens ! les habitans de Jérémie, qui, comme tous ceux des autres points de la république, aspirent à la tranquillité qui conduit au bonheur, demandent justice de ces accusés, qu’ils déclarent être les seuls obstacles à la paix publique dans la Grande-Anse… Vous avez besoin de la tranquillité, vous l’aurez : je vous le promets et vous le jure par cette épée dont vous m’avez armé pour veiller à votre bonheur et à la gloire d’Haïti. Cette épée ne sera remise dans le fourreau que lorsqu’il n’y aura plus à frapper aucun des parjures qui conspirent la perte du pays ! » Et en effet on arrêtait les parjures en question, on les jugeait et on les exécutait.

On pourra s’étonner qu’ayant les piquets sous la main, Soulouque sacrifiât au préjugé des procédés judiciaires : ce serait bien mal connaître le personnage. La loi lui accordait des commissions militaires, et il se serait cru volé d’une de ses prérogatives, si on avait exigé qu’il s’en passât : c’était en outre un moyen d’éprouver les officiers suspects de sa suite qu’il obligeait à siéger dans ces commissions, quand par hasard l’accusé était de leurs amis. L’arrêt se distinguait, en pareil cas, par sa morne brièveté : complices forcés de l’assassinat, les commissaires voulaient du moins s’épargner à eux-mêmes le sarcasme d’une parodie juridique. En revanche, les commissions militaires recrutées