Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout était sauvé. Le papier-monnaie se releva subitement de plus d’un quart ; les orateurs du Morne-à-Tuf proclamaient que les mulâtres avaient du bon, et qu’après tout ils avaient assez souffert. Soulouque lui-même paraissait décidément subir la contagion, car ce qui n’était pas arrivé depuis le commencement de la terreur, même pour les rares suspects acquittés çà et là par les conseils de guerre, il fit successivement élargir une quinzaine de détenus, des plus insigniflans, il est vrai, sur les cinq ou six cents qui remplissaient la prison de Port-au-Prince ; mais trois semaines après les élargissemens cessaient, les arrestations recommençaient, le président faisait fusiller huit des principaux habitans de couleur de Jacmel, dont les piquets avaient, je l’ai dit, à se plaindre. La populace de Port-au-Prince insultait et menaçait non plus seulement les mulâtres, mais encore la bourgeoisie noire, et la campagne enfin parlait plus que jamais de venir piller la ville. C’était une expérience financière de Soulouque.


VIII. – LA CONSPIRATION DU CAPITAL EN HAITI.

La république noire offre ce miracle de crédit d’un papier-monnaie ne reposant sur aucun gage métallique ou territorial, d’un papier-monnaie que le gouvernement émet à discrétion, qu’il se réserve de rembourser quand il lui plaît et au taux qu’il lui plaît, qu’il proclame d’ailleurs lui-même fausse monnaie en refusant de le recevoir pour paiement des droits d’importation, et qui cependant, au bout de vingt années, à l’avènement de Soulouque, circulait encore pour un cinquième environ de sa valeur nominale. En d’autres termes, il ne fallait, en 1847, que 72 gourdes de papier (la gourde véritable vaut 5 francs et quelques centimes) pour représenter 1 doublon, c’est-à-dire la pièce d’or espagnole de 85 francs.

La gourde haïtienne a, comme on voit, le caractère bien fait ; les scènes du mois d’avril et la terreur qui les suivit ne laissèrent pas toutefois de l’impressionner fortement. Le peu d’espèces métalliques qui circulaient dans le pays l’avaient jusque-là soutenue de deux façons, soit en entrant pour une part stipulée d’avance dans les paiemens commerciaux, soit en suppléant comme appoint, dans les transactions de marchand à consommateur, à l’insuffisance des coupures. Or, les proscrits et les fuyards, sachant très bien que le papier haïtien n’est en dehors d’Haïti que du papier, avaient fait rafle en partant de presque toutes les espèces métalliques, et, ce double point d’appui lui manquant, la gourde avait subitement fléchi de plus d’un tiers de sa valeur courante.

Les droits d’importation sont la principale ressource du trésor haïtien ; mais bon nombre d’importateurs apprenant, en touchant terre,