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le temps me manqua pour les admirer à mon aise : nous avions seize heures de marche à faire pour arriver à Vilque, notre gîte. Vilque a une certaine importance dans le pays à cause de la foire de mules qui s’y tient une fois l’an. Les mules sont amenées du Tucuman, province de la république de la Plata, et mettent quatre mois pour accomplir ce voyage ; de Vilque, elles sont répandues dans tout le Pérou. Ce grand village est bâti au bord d’une plaine marécageuse, qui paraît avoir été le lit d’un lac, et qui se termine par un vaste étang.

Le sixième jour, je découvris enfin le lac de Puño ou de Titicaca, non pas le lac entier, avec son circuit de quatre-vingt-dix lieues, mais la partie que l’on appelle le Petit-Lac, avec son horizon obligé de montagnes couvertes de neiges ; cette vue ressemble singulièrement à celle du lac de Genève et du Mont-Blanc, lorsqu’en venant de France on descend sur Lausanne. Arrivés à Puño, nous traversâmes la ville pour gagner la mine et les établissemens d’exploitation de mon compagnon de route, M. B.

J’avais hâte d’observer de près les travaux d’une mine d’argent. Peu de gens savent que l’argent se manipule comme le blé ; qu’on le concasse, qu’on le moud, qu’on le pétrit, qu’on le cuit au four exactement comme un pain de quatre livres. Avant tout cependant il s’agit de procéder à l’extraction du précieux métal, et c’est là une opération assez difficile. Les mines d’argent, comme la plupart des autres mines, se composent d’un ou de plusieurs filons qui courent en différentes directions : ces filons ont depuis un pouce jusqu’à plusieurs pieds de largeur ; mais, pour avoir la portion de minerai d’argent qu’ils contiennent, il faut ouvrir une galerie où un homme puisse aisément remuer le ciseau et le marteau, tâche fort pénible quand la veine se trouve encaissée dans le granit, comme il arrive d’ordinaire dans les mines du Pérou. D’autres veines, les plus abondantes en minerai, se trouvent dans un terrain friable, et alors autres dangers et autre travail : le danger des éboulemens et l’obligation de soutenir les parois de la galerie, à mesure que l’on avance, avec des poteaux et : des planches, ce qui occasionne des frais énormes dans ce pays, où le bois manque totalement. Un mineur est placé à chaque veine, et à coups de marteau il enfonce de six pouces dans le granit un énorme ciseau rond et pointu. Le trou est rempli de poudre, et la mine joue. Après l’explosion, il y a de quoi étouffer : la fumée empestée de cette poudre grossièrement faite roule lourdement dans les étroites galeries de la mine, quelquefois longue de cinq à six cents pieds, et, quand on se trouve là dans le moment, on en avale une portion capable d’asphyxier un bœuf. Une fois, le minerai détaché du rocher, des Indiens, uniquement chargés de ce travail, le mettent dans un sac de cuir, capacho, qu’ils portent sur le dos jusqu’à l’entrée de la mine, où il est