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effet, moins majestueux que de se donner beaucoup de mouvement en pure perte, et l’agitation qui n’aboutit pas n’est jamais un signe de force. Les choses sont cependant ainsi arrangées par le caprice des révolutions et par la loi des antécédens, que toute l’agitation du monde en un sens ou dans l’autre ne mènera d’ici long-temps qu’à des impossibilités. On s’agite, parce que l’on rêve soi-même ou parce que l’on craint que les autres ne rêvent des solutions extrêmes qui nous enlèveraient tout d’un coup à ce régime des à-peu-près auquel nous sommes bien obligés de nous soumettre. Les à-peu-près n’en sont pas moins notre lot ; jusques à quand ? Personne ne le sait, et personne n’en abrégera le terme en tâtonnant dans une ombre plus ou moins transparente pour chercher une issue plus prompte. Ce régime des à-peu-près, qui n’admet ni d’institutions bien régulières, ni de politique bien éclatante, n’a rien en vérité de flatteur pour les imaginations ; si l’on pouvait ainsi parler, il consiste à faire de l’ordre dans le vide ; c’est une entreprise ingrate et nullement glorieuse. Il faut de la patience et encore de la patience pour combler peu à peu ce vide creusé dans la société par les révolutions, pour y édifier quelque chose de plus moral, de plus fort que l’ordre matériel. La tentation peut être grande de combler l’abîme en une fois, mais c’est là que les impossibilités commencent, et avec les impossibilités le discrédit de ceux qui les bravent sans craindre assez de trop multiplier les aventures. Il n’est point de majesté qui résiste à courir les hasards en se heurtant toujours contre les réalités.

Quelles sont donc, dans l’état de nos affaires, ces impossibilités dont nous parlons ?

Il serait impossible, par exemple, que l’assemblée nationale supprimât maintenant la position légitime du président de la république, qu’elle annulât sa prérogative en s’érigeant en comité de salut public ; mais il serait plus impossible encore que le président élevât sa prérogative au-dessus de l’assemblée, qu’il réduisît le pouvoir législatif au métier de comparse dans une exhibition napoléonienne où lui-même se donnerait son rôle, au lieu de le recevoir, comme Napoléon se donnait à son sacre la couronne impériale, en la prenant de sa main. Il ne s’agit plus aujourd’hui de couronne à prendre. Il serait également aussi impossible d’improviser une restauration légitimiste ou orléaniste dans les couloirs du Palais-Bourbon, qu’il le serait d’improviser la restauration de l’empire dans les antichambres de l’Élysée. Pourquoi tout cela ne se peut-il pas ? Parce qu’en tout cela il y aurait à faire un premier pas que personne ne fera, le pas décisif par lequel on serait le premier à violer une charte dont le seul mérite sera de fournir un argument de légalité contre qui tenterait la surprise. L’opinion, sans doute, est faible et servile : on peut croire qu’elle se tournerait aisément vers le plus fort, parce qu’elle se sent désorientée ; mais, du moment où l’on méconnaîtrait par un coup d’audace la lettre de la loi, cette lettre deviendrait comme un signe de ralliement pour cette immense majorité qui ne sait peut-être pas ce qu’elle veut, mais qui sait du moins ce qu’elle ne veut pas. Elle ne veut pas être enlevée comme elle l’a été en février, fût-ce au nom des souvenirs ou des espérances qui lui agréeraient le plus. Voilà l’obstacle pour les empiriques qui prétendraient lui faire prendre, bon gré mal gré, leurs remèdes souverains ; voilà les impossibilités et leur raison d’être.

Allons ici au fond des choses. Ce sont ces impossibilités mêmes qui depuis