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étroites avec le ministère publia un document militaire d’où il semblait résulter que le général Changarnier n’instruisait pas précisément ses soldats dans le respect de la représentation nationale. « Ne pas écouter les représentans, repousser rigoureusement toute sommation, réquisition ou demande d’un fonctionnaire civil, judiciaire ou politique, » tels étaient les extraits significatifs de l’ordre du jour qu’on attribuait à l’honorable général. M. Napoléon Bonaparte jugea peut-être que cette pièce n’avait pas été citée pour rien dans la feuille ministérielle, et qu’il devait y avoir quelque bonne raison pour ne pas la laisser tomber. M. Napoléon Bonaparte, tout en étant de la montagne, n’a pas cessé de se croire de la branche cadette ; il sait par cœur le rôle des héritiers présomptifs, et à ce titre il a dû s’adjuger une place dans l’opposition, mais il ne demanderait pas mieux, au besoin, que d’être utile à son aillé. Engager le général Changarnier dans une passe délicate vis-à-vis de la chambre, le décider à marquer d’avance sa position au cas d’un conflit entre les deux prérogatives, c’était peut-être faire du même coup la besogne d’un bon montagnard et d’un bon cousin. On sait comment le général s’est tiré d’affaire. « Les instructions, a-t-il dit, n’étaient données que pour assurer l’unité du commandement dans le combat ; » il n’avait jamais entendu méconnaître le droit de l’assemblée.

Ces simples paroles, énergiquement accentuées, recevaient des dispositions morales du moment un sens par malheur tout spécial, et l’assemblée les accueillit avec une chaleur enthousiaste. Les esprits, dominés par cette perspective de lutte violente qui flottait devant eux depuis quelque temps, virent dans la déclaration du général un favorable augure pour la cause parlementaire, puisqu’on voulait à toute force que la cause parlementaire fût en jeu. Serait-ce pour répondre à cette joie plus ou moins fondée avec laquelle le parlement acclamait un tel champion, serait-ce pour la punir que la destitution du général Changarnier a été résolue ? Serait-ce dans cette pensée de représailles qu’on aurait oublié des services comme ceux du 13 juin 1849 ? C’est ce que nous apprendra la discussion qui va s’ouvrir. Quoi qu’il en soit, le ministère n’était pas unanime sur une mesure si grave, et pour mettre le président plus à l’aise dans l’exercice du droit parfaitement constitutionnel qu’il avait de la prendre, le cabinet en masse offrit sa démission. Par une coïncidence assez piquante, le cabinet reconstitué après huit jours n’a pas compris ceux de ses anciens membres qui avaient le plus vivement sollicité ou appuyé la destitution du général. La raison en est sans doute dans des questions de ménage intérieur, dans des préférences ou des dégoûts dont nous n’avons point à nous occuper : l’excès de la complaisance n’est pas toujours l’excès de l’adresse. Dieu nous préserve de dire cela pour le loyal général de Lahitte, qui n’a pas voulu revenir au ministère, parce qu’il n’a voulu à aucun moment signer la révocation du commandant en chef de l’armée de Paris ! C’était, à ce qu’il semble, la condition absolue et le seul programme imposé par le président à ses conseillers rentrans et à ceux qu’il leur adjoignait au lieu de leurs précédens collègues.

Aussitôt arrivé à la chambre, le nouveau cabinet a subi le rude assaut qui se prolonge encore. On lui a demandé un compte sévère du premier acte par lequel il inaugurait son administration. On l’a durement accusé d’avoir prêté son concours à une mesure que l’on reconnaissait pour légale, mais où l’on