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se prit d’engouement pour les saillies énergiques de ce personnage original. Le pays commençait à confondre la république et l’assemblée dans un vif sentiment de dépit : il adopta la colère de M. Caussidière comme pour s’essayer à exprimer bientôt, sous une forme plus convenable, son propre ressentiment.

En effet, tandis que les républicains se regardaient entre eux avec froideur et méfiance, tandis que l’assemblée considérait les républicains avec une surprise chaque jour croissante, de nombreuses réélections avaient eu lieu. Paris, nommant à la fois M. Pierre Leroux, M. Victor Hugo, le général Changarnier, Proudhon et le prince Louis Bonaparte, donnait un fidèle échantillon du chaos qui régnait dans cette cervelle de la France ; mais les départemens manifestèrent une tendance très nette et très caractérisée, une tendance franchement réactionnaire. M. Molé et M. Thiers entrèrent à l’assemblée avec un cortège de suffrages qui donnait comme une sorte de mission spéciale à ces deux hommes d’état du passé, et semblait leur imposer pour mandat de renforcer de leur expérience l’impéritie formidable qui compromettait alors toutes nos destinées.

Les départemens, qui, dans quelques jours, allaient envoyer l’élite de leur population en armes contre l’insurrection de Paris au 23 juin, avaient commencé ce mouvement par leurs votes, par leurs journaux, par leurs correspondances, par tout ce qui pouvait peser sur leurs représentans, dont ils ne s’expliquaient pas les hésitations et les déférences. Les républicains exaltés et leurs échos accusaient déjà la majorité d’arrière-pensées et même de complots dynastiques, tandis qu’en réalité cette majorité avait à lutter, de la part de ses commettans, contre les plus vifs reproches dans le sens opposé. Au point de vue de la décision, la France valait mieux que l’assemblée, l’assemblée valait mieux que le gouvernement : dissidence qui devait aller en s’élargissant de jour en jour jusqu’au scrutin du 10 décembre, scrutin où l’on vit la grande majorité de l’assemblée et une notable portion des hommes monarchiques soutenir le général Cavaignac, tandis que les départemens donnaient la masse de leurs suffrages à un prince fils de roi et neveu d’empereur.

En attendant ce coup de théâtre ou plutôt ce coup de massue, de formidables événemens devaient concourir à le préparer.

Les deux grandes préoccupations de l’assemblée furent, à partir du 15 mai, les ateliers nationaux et la recherche d’un moyen quelconque de donner à la commission exécutive une volonté ou son congé. La peur de passer pour réactionnaire balançait dans l’assemblée la crainte de devenir complice, et la présence de M. Ledru-Rollin au pouvoir en paralysait les bons élémens.

J’ai eu l’occasion de m’expliquer à la tribune sur la question des