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Il importe de préciser d’abord l’origine et les tendances primitives de la rue de Poitiers. Ce fut, dès les premiers jours de mai, le lieu de rendez-vous, le centre de ralliement des représentans, fort nombreux dans la constituante, qui n’avaient appartenu à aucune assemblée antérieure. Les hommes politiques de quelque valeur avaient exercé leur influence sur les électeurs de la constituante, moins pour se produire que pour indiquer leurs successeurs. Il n’est pas de département où tous les anciens chefs de parti n’aient préparé ou chaleureusement appuyé les élections de quelque ouvrier, pourvu qu’il fût probe, de quelque publiciste républicain, pourvu qu’il fût modéré, et encore ne regardait-on pas de très près à cette modération. Dans l’ouest même, où il eût été le plus facile de réaliser ou tout au moins de tenter des élections anti-républicaines, l’idée n’en fut pas même mise en avant. Dans Maine-et-Loire, le comité de la droite donna cinquante et quelques mille voix à un chef d’atelier de l’école des arts et métiers, ce qui, par parenthèse, valut fort peu de temps après à celui-ci une brutale destitution. Dans la Loire-Inférieure, la droite fit passer M. Waldeck-Rousseau à côté de l’un des curés de la ville de Nantes. Dans l’Ille-et-Vilaine, l’évêque de Rennes avait désigné de son plein gré le nom de M. Roux-Lavergne, ami et collaborateur de M. Buchez. Dans le Morbihan, la même opinion, appuyée sur les mêmes forces, nommait M. Beslay, patron d’un grand nombre d’ouvriers dans un des faubourgs de Paris. Marseille nommait son jeune portefaix, M. Astouin. Il y avait donc à l’assemblée une foule d’hommes complètement nouveaux et décidés à inaugurer une situation et une politique nouvelles. Ils étaient fort jaloux de cette virginité politique, de cette non-solidarité avec les régimes antérieurs, et ils avaient grandement raison. Les nuances d’opinion ne conduisaient pas à la rue de Poitiers et n’y classaient personne : c’était la date de l’entrée dans la carrière qui servait d’introduction. Là, M. d’Adelsward se rencontrait avec M. Denjoy, M. Degousée avec le général Baraguay-d’Hilliers, M. de Heeckeren avec M. Bérard. M. Barrot se trouvait exclu comme M. Thiers, comme M. Molé, comme M. Dufaure, comme M. Duvergier de Hauranne, comme M. Béchard ou M. de Larcy. Ce n’est que lorsque la crise de juin fut devenue manifeste et imminente, que ce noviciat de la rue de Poitiers s’effraya de son isolement et de sa responsabilité. La consigne contre les anciens fut levée. Je ne crois pas que