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malencontreusement que le général Cavaignac appliquait à M. Thiers le nom d’ennemi. M. Thiers repoussait ce mot avec la générosité la plus spirituelle, en plaidant les prérogatives du chef futur qu’allait introniser l’assemblée. L’ingratitude au point de vue de la personne, le péril au point de vue de l’autorité qu’il était si nécessaire de fortifier, tel fut le thème dont j’entendis seulement l’éloquente péroraison. Ce discours et celui de M. Berryer décidèrent du vote. Il fut résolu à l’unanimité que la réunion de la rue de Poitiers, adoptant les vues des amis personnels du général et de la réunion Dupont de l’Eure, se mettrait en rapport avec l’honorable M. Cavaignac par une députation officieuse composée de six membres ; que cette députation ferait connaître au général qu’un sentiment de confiance en lui portait la réunion à renoncer à la nomination directe des ministres ; qu’elle appuierait son administration nouvelle hautement et fermement ; qu’elle désirait que les portefeuilles fussent remis à des hommes ne pouvant donner aucun sujet d’inquiétude à l’opinion républicaine ; que l’on souhaitait en conséquence que cette administration fût largement recrutée parmi les serviteurs de la veille. Aucun nom propre, aucune prétention, aucune exigence, ne furent ni directement ni indirectement recommandés aux soins des six députés de la réunion. Ces six représentans étaient MM. Baze, Vivien, de Sèze, Vesins, Degousée et moi. Nous demandâmes, dès le soir même, une entrevue au général Cavaignac, qui nous fût accordée pour le lendemain à sept heures du matin. Le général, encore épuisé des fatigues du combat, nous reçut couché sur un lit de fer dans un des petits salons de l’ancien hôtel de la présidence. Il nous déclara avec une bonhomie à la fois digne et cordiale qu’il ne connaissait aucun de nous (M. Degousée n’avait pu se joindre à la députation, je ne me rappelle plus pour quel motif) ; qu’il ignorait non-seulement nos opinions, mais même nos noms ; qu’il était un général d’Afrique transporté brusquement sur un terrain nouveau pour lui ; que, du reste, il n’avait pas besoin d’un plus ample informé pour répondre très franchement à notre démarche. Il nous indiqua que des négociations étaient entamées pour la plus prompte formation possible du nouveau ministère, que les affaires étrangères étaient destinées au général Bedeau, la guerre au général de Lamoricière, l’intérieur à M. Sénard, les finances à M. Goudchaux. C’étaient là, on le voit, les quatre postes les plus importuns ; tous les quatre étaient donnés à des hommes qui avaient soutenu le poids de la lutte : le général Lamoricière et le général Bedeau sur les barricades, M. Sénard à la présidence de l’assemblée, M. Goudchaux à la présidence de la commission des ateliers nationaux. Ces quatre noms obtinrent aussitôt la promesse la plus formelle du concours de la rue de Poitiers. Les noms de MM. Tourret et Bethmont furent ensuite prononcés