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l’étranger. Au retour du grand-duc, son ancien protecteur, il songea moins que jamais à se rendre aux instances des Napolitains, qui tenaient à honneur de rappeler l’artiste renommé dans son pays natal. Enfin, lorsque Morghen mourut en 1833, l’Italie tout entière s’émut à cette nouvelle, et d’innombrables sonnets, expression ordinaire des regrets ou de l’enthousiasme publics, célébrèrent à l’envi les talens du graveur de la Cène.

Trois ans auparavant, un graveur dont les premiers succès avaient eu presque autant de retentissement en Allemagne que ceux de Morghen en Italie. Jean Godard Müller s’était éteint dans l’isolement et la douleur. À peine se rappelait-on au-delà des murs de Stuttgart que l’auteur, un moment illustre, de la Vierge à la chaise et du Combat de Bunkerschill, que le régénérateur de l’école allemande existât encore. C’est que depuis long-temps il avait renoncé à la gloire, au travail même, et qu’il ne vivait plus que pour pleurer un fils mort en 1816, au moment où il devenait à son tour le graveur le plus éminent de son pays. Ce fils, Jean-Frédéric-Guillaume, avait été dès l’enfance voué à l’art qu’exerçait son père. Il s’y essaya avec assez de succès pour mériter d’être admis de très bonne heure à l’école de gravure récemment fondée à Stuttgart par le duc Charles de Wurtemberg. On a vu qu’à la fin du XVIIIe siècle une foule de graveurs allemands quittaient leur pays pour venir se former à Paris, et que quelques-uns même s’y étaient fixés. La tourmente révolutionnaire les avait dispersés momentanément. Ils s’étaient hâtés de fuir la France, leur patrie d’adoption, pour retourner en Allemagne, et l’institution d’une école de gravure à Stuttgart avait été l’un des résultats de cette émigration ; mais en 1802 plusieurs des artistes exilés étaient déjà revenus à Paris, et les ateliers, fermés depuis plus de dix ans, s’y rouvraient à de nombreux élèves. Guillaume Müller, âgé de vingt ans à cette époque, suivit les conseils et l’exemple que lui avait donnés son père : il vint se perfectionner à son tour dans ce centre des fortes études. Recommandé à Wille, alors plus qu’octogénaire, et qui s’honorait d’avoir été le maître de Godard, il se trouva par son entremise bientôt en relation avec Bervic, avec MM. Tardieu et Desnoyers, dont les travaux signalaient la renaissance de la gravure française, et, sans se faire l’imitateur de ces artistes, il leur emprunta cependant assez pour qu’on puisse le regarder aujourd’hui sinon comme leur rival, au moins comme un graveur digne de leur école. Sa Vénus d’Arles qu’il fit pour le Musée français, publié par MM. Laurent et Robillard[1], son

  1. Cette belle publication contient, divisés en quatre sections, les tableaux et les antiques les plus remarquables du Musée du Louvre tel qu’il existait à l’époque où Napoléon l’avait enrichi des chefs-d’œuvre de toutes les écoles. Commencée en 1802, elle fut continuée jusqu’en 1811 avec le plus grand succès, et n’occasionna qu’une dépense de 950,000 francs, somme peu considérable, si l’on a égard à l’importance de l’entreprise et au talent des dessinateurs, des graveurs et des archéologues qui y ont participé.