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Toute la maison fut bientôt à l’envers ; nous entendions du côté de la cuisine le bruit d’un branle-bas général. Par malheur, les munitions manquaient, et une des vieilles dames me conta, avec un chagrin risible, que nous étions mal tombés. C’était à la fois samedi, et quatre-temps. Le beurre et les oeufs étaient interdits aussi, bien que le rôti. Il fallait se résigner aux sauces à l’huile, aux légumes à l’eau. Les servantes étaient dans une véritable consternation, notre ami se fâchait ; il se permettait, au sujet du maigre, des observations voltairiennes qui désolaient les bonnes vieilles. Il fallut toute notre bonne humeur pour ramener la concorde, et surtout notre promesse de rester le lendemain. Je compris que, pour nous dédommager de notre abstinence, on complotait pour le jour suivant un repas homérique. Je ne me trompais pas : le festin eut lieu, et nous eûmes quelque peine à y survivre.

Le soleil, qui se leva radieux le lendemain, nous montra un pays tout différent de celui que nous avions parcouru la veille, car le département de la Corrèze a cela de particulier, qu’il renferme dans son étendue les aspects les plus opposés. On élève, dans les cantons du sud, les vers à soie, tandis que dans ceux du nord végètent uniquement des bouleaux et des hêtres, ces arbres de la Sibérie. Sans aucune exagération, on peut affirmer qu’entre les landes d’où nous étions partis vingt-quatre heures auparavant et la vallée où nous nous trouvions, la différence de climat n’est pas moindre qu’entre l’Écosse et la Catalogne. Autour de nous, des coteaux couverts de vignes et d’arbres à fruits, aussi rians que ceux de la Limagne, étaient baignés dans une lumière toute méridionale. Les vignerons en habits de fête, les jeunes filles avec leurs tabliers rouges, passaient en chantant au milieu de la verdure et des fleurs. En dépit du socialisme, la joie et la prospérité, éclataient partout dans ce paysage. Notre premier soin fut de visiter avec notre gros ami le jardin et le verger qui entouraient son habitation. À ma grande surprise, verger et jardin étaient mal tenus et comme à l’abandon. Les travaux des champs, l’amour des fleurs, les rafraîchissantes récréations qu’offre la campagne à ceux que le séjour des villes a lassés, rien de tout cela n’avait de charme pour notre camarade. On ne jouit que par comparaison, et le pauvre diable, condamné, aux mêmes plaisirs à perpétuité, ne se contentait pas de les trouver monotones, il les appelait des ennuis. Il nommait un martyre le bonheur après lequel soupirent, non sans raison, les habitans de Paris. Hélas ! le contraste est nécessaire à toutes choses en ce monde ; à la lumière il faut l’ombre, il faut la peine à côté du bonheur, et l’agitation auprès de la tranquillité. Cela rappelle l’apologue que le vieux, Plutarque net dans la bouche de Thémistocle : « Le jour de fête eut dispute avec son lendemain. Celui-ci se plaignit qu’il n’avait pas un moment de loisir et qu’il était accablé de travail, tandis que le jour