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est juste ; les fils n’ont rien fait pour la gloire, pour leur pays pour eux-mêmes, ils sont misérables et oubliés, c’est juste encore. Ils ne se sont pas même doutés du tapage amusant que fit à Paris, dans un certain monde, l’apparition des aristocratiques écussons sur les murs de Versailles. Jamais on n’avait vu un plus terrible déchaînement de colères, de jalousies, de récriminations, de mécontentemens et de dédains. Il a fallu toute la fermeté du roi et toute l’impartialité sévère des deux savans compilateurs chargés de ce travail pour tenir tête à l’orage. Le plus divertissant de la chose, c’est que la bourgeoisie, qui semblait souveraine alors, ne se plaignit pas contre toute attente, et le peuple approuva. Ce fut la noblesse de création récente qui jeta les hauts cris, qui tenta, pour faire ses preuves, d’impossibles tours de force, et se vengea par ses observations dédaigneuses de ceux qui avaient l’insigne honneur de porter le nom d’un chevalier convaincu d’avoir emprunté quatre francs à un juif en Palestine. Pendant que l’on se disputait si aigrement à Paris autour de la Bibliothèque royale, on gravait en lettres d’or le nom des insoucieux paysans dont j’ai parlé. Ils l’ignoraient ou n’y tenaient guère. Comme les bergers de Virgile, ils ne connaissaient pas leur bonheur, et leur indifférence faisait bien en regard de la sourde envie et du dédain mal joué des grands personnages à qui ces lauriers semblaient trop verts. Je suis de ceux qui trouvent fort ridicules, au siècle où nous vivons, les passions généalogiques. Il me paraît triste de voir la noblesse de France s’attarder ainsi dans ces querelles de préséance, comme si l’heure n’avait pas sonné de laisser là, tout en respectant le passé, ces irritantes distinctions. J’admire chaque jour davantage cette aristocratie anglaise qui est si puissante et si jeune par son libéralisme, tandis que la nôtre est si débile et si caduque, grace à la rigueur de son code, et je trouve qu’au lieu de fouiller dans la poudre des bibliothèques pour établir qu’un de ses ancêtres a montré bravement dans les batailles la couronne de son cimier, mieux vaudrait chercher à se faire soi-même une place au soleil et prouver avant tout qu’on n’a pas dégénéré. Cette disposition à considérer comme un mérite personnel et suffisant le mérite de ses pères, à se contenter pour toute gloire d’un écusson gagné par d’autres, est un des vices de notre époque, et je pensais autrefois avec chagrin qu’une seule caste avait en France le monopole de ces vanités puériles ; mais 1848 m’a détrompé. J’ai vu les démocrates de février, je les ai entendus parler de leurs ancêtres ; j’ai admiré dans l’appartement d’un montagnard dont le nom plébéien semblait exclure toute prétention de ce genre des armoiries peintes sur tous les murs, sur tous les meubles, avec cette profusion significative d’un homme mal sûr de son fait. Je sais maintenant que cette inexplicable maladie est générale, et je reviens, mais sans enthousiasme, au