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logis, jeune personne et assez jolie. Je la cajeolay sur sa coiffure ; c’estoit une espèce de cale à oreilles des plus mignonnes et bordée d’un galon d’or large de trois doigts. La pauvre fille, croyant bien faire, alla aussitôt quérir sa cale de cérémonie pour me la montrer. Passé Chavigny, on ne parle quasi plus français ; cependant cette personne m’entendit sans beaucoup de peine ; les fleurettes s’entendent par tout pays, et ont cela de commode, qu’elles portent avec elle leur trucheman. Tout meschant qu’estoit notre giste, je ne laissay pas d’y avoir une nuit fort douce… » Le lendemain, son humeur est moins noire ; il parle du Limousin sur un autre ton : « N’allez pas vous figurer que ce pays soit malheureux et disgracié du ciel comme on se le figure. Je vous donne les gens de Limoges pour aussi fins et aussi polis que le peuple de France : les hommes ont de l’esprit dans ce pays-là (il écrivait six ans avant M. de Pourceaugnac), et les femmes ont de la blancheur ; mais leurs costumes, façon de vivre, préoccupations, compliments ne me plaisent point. C’est dommage que… n’y ait point été mariée ; quant à mon égard :

« Ce n’est plus un plaisant séjour ;
J’y trouve aux mystères d’amour
Peu de savants, force profanes ;
Peu de Phylis, beaucoup de Jeannes,
Peu de muscat de Saint-Mesmin,
Force boisson peu salutaire,
Beaucoup d’ail et peu de jasmin
Jugez si c’est là mon affaire. »

Après une nuit moins romanesque, le lendemain au point du jour, je gravissais péniblement, au milieu des vignes, la montagne, qui domine, Saint-Céré, et que couronnent les ruines pittoresques des tours de Saint-Laurent. La matinée était fraîche et pure, le soleil brillait sur les feuilles humides, des volées d’oiseaux enivrés par le raisin babillaient dans les haies, les merles sifflaient à l’envi dans les sorbiers couverts de leurs baies rouges, et une caille mêlait à ces gazouillemens divers ses trois notes argentines. Quelques moutons chétifs, poussés par un berger en guenilles, suivaient devant moi le sentier montueux et raviné. De temps à autre, le pâtre et moi nous nous arrêtions pour reprendre haleine. Au-dessous de nous, une brume légère flottait encore entre les toits de la ville et les peupliers de la prairie. Les coteaux, au contraire, étaient frappés en plein par une lumière chaude et blonde ; les vendangeurs y travaillaient en chantant. Depuis long-temps, la journée avait commencé pour eux ; mais ceux de la ville, qui devaient jouir de leur labeur plus qu’eux-mêmes, dormaient encore. De ceux-ci ou de ceux-là lesquels fallait-il plaindre ? je me sentais fort pastoral en ce moment. Le travail, en plein champ