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en dormant sur mon plancher, je me mis à songer. Je croyais être auprès de ma fiancée, assis devant la cheminée que voici, quand tout à coup, au-dessus de sa tête, je vis paraître une figure horrible. C’était celle de la femme dont je vous ai parlé ; elle tenait une hache à la main, et allait frapper… Je voulus m’élancer… impossible ; mes jambes me refusaient tout service ; je les regardai, et je m’aperçus qu’elles étaient coupées toutes les deux auprès du col du fémur.

— De sorte que vous étiez cul-de-jatte, remarqua le brocanteur.

— Oui, monsieur, et j’en fus si contrarié, que je m’éveillai. Je me retrouvai dans la soupente, la tête sur mon manteau ; je prêtai l’oreille ; la tempête continuait au dehors. Ce rêve m’avait troublé ; j’eus l’idée d’appliquer mon œil à une des fentes du plancher vermoulu qui me servait de lit, et je regardai ce qui se passait en bas. L’homme et la femme étaient toujours au coin du feu ; mais ils ne travaillaient plus ; ils parlaient à voix basse. — Je te dis qu’il a plus d’argent dans sa bourse que tu n’en gagneras dans toute ta vie, disait la femme. — Eh bien ? reprit l’homme. — Eh bien ! il faut le lui prendre : il dort ; monte l’échelle, empoigne-le par les pieds, fa lou segre (fais-le suivre), jette-le en bas, je me charge du reste, et elle lui montra un marteau de maçon qu’elle tenait à la main. — Et après que ferons-nous de l’homme ? reprit le mari. — Nous le porterons sur la route ; il se sera tué en tombant de cheval pendant la nuit. En même temps elle souffla le caler[1] ; le feu s’était éteint. Je ne vis plus rien. Ils parlaient encore à voix basse ; mais je n’entendais plus. Sans être plus poltron qu’un autre, je vous avoue, messieurs, que mes oreilles tintaient fort. Je n’avais pas d’armes. Un instant j’eus l’idée de sauter en bas par la trappe ; mais l’échelle n’était pas commode, et si le pied m’avait manqué ? Je n’eus pas le temps de réfléchir d’ailleurs ; je sentis tout à coup une petite secousse, un frisson courut dans mes os. L’homme montait l’échelle. À chaque barreau, son pied faisait un peu crier le bois. J’étais parvenu à me soulever sans bruit et à m’agenouiller au bord de la trappe. Le corps replié, les yeux fixes, les oreilles dressées, le cœur tremblant, j’attendais avec angoisse. Tout à coup, dans l’ombre, une forme se dressa devant moi, une main me toucha ; je pars comme un ressort, je saisis l’homme à la gorge, je le renverse en poussant de toute ma force, le pied lui manque, et il tombe lourdement au bas de l’échelle.

— Je le tiens ! cria la femme. En même temps j’entendis un coup

  1. Caler, sorte de lampe. On dit en patois limousin tsoler. À la place du ts qui commence dans la Corrèze une quantité de mots d’une prononciation difficile, les habitans du Lot mettent un C. Tsomin, camin (chemin), tsostel, castel (château), tsoval, caval (cheval), etc., etc. Règle générale, le Français dit cha ou che, le Quercinois ca, le Limousin tso.