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bien considérer. Ce qu’ils nourrissent de sève et de vigueur intérieure ne se dissipe pas dans ces disputes oiseuses qui ôtent le sens des choses, et au bout desquelles les individus comme les peuples trouvent l’impuissance. La familiarité qu’ils nouent chaque jour avec le péril développe en eux un instinct de la réalité qui fait qu’ils sont peu sensibles aux creuses métaphysiques révolutionnaires, et qu’ils passent outre avec une étrange liberté d’esprit et de conscience. L’habitude du devoir précis, de la discipline rigoureuse, leur donne cette simplicité de jugement et d’action des hommes mis à un poste pour le garder ou y périr. Eux seuls, en certains momens, ils savent ce qu’ils doivent faire, et ils l’accomplissent résolûment, quelquefois même avec un mélange tragique d’abnégation qui n’étouffe pas sans doute les plus invincibles sentimens, mais qui leur commande. Il n’est pas, je pense, beaucoup d’exemples comparables à celui de ce prince Windischgraetz qui, seul en Bohème, au milieu des étonnemens de 1848, voyant sa femme et son fils tomber sous les balles, n’éprouve nulle hésitation et fait plier sous son épée l’insurrection de Prague.

Comment arrive-t-il que ceux qui sont particulièrement doués de ces qualités militaires se trouvent appelés à une prépondérance politique qui ne laisse point d’avoir un caractère d’originalité dans le travail des peuples contemporains ? Est-ce parce qu’ils sont la force et rien que la force, ainsi que le disent les sophistes à courte vue ? Non c’est parce qu’ils savent commander et obéir dans une société où il semble que les notions du commandement et de l’obéissance soient également altérées ; c’est qu’ils savent servir et agir dans un temps où chacun aspire à être roi, et roi fainéant. Ils sont l’expression vivante de la discipline. Voilà pourquoi les révolutions, qui feignent de les caresser parfois, haïssent cordialement, instinctivement les vrais militaires ; elles pressentent en eux des ennemis naturels. Voilà pourquoi ceux-ci, à leur tour, par les idées qu’ils représentent au moins autant que par la force dont ils disposent, ont un caractère spécial pour tenir en échec les révolutions. Ce rôle d’antagonistes qu’exercent avec éloquence dans l’ordre purement intellectuel les Burke, les De Maistre, ils l’exercent dans le domaine de l’action. Ils sont les dompteurs naturels et nécessaires des révolutions par le conseil comme par l’épée.

Chaque pays aujourd’hui, en Europe, a eu quelques-uns de ces soldats d’élite pour soutenir ou relever sa fortune. Souvenez-vous, en France, pour ne nommer que le premier de tous, de l’immense foi qui s’attachait au maréchal Bugeaud, mâle et simple nature, qui avait eu l’art d’élever le bon sens à la hauteur d’une politique et la fermeté de son ame à la hauteur d’une garantie sociale. Vous avez vu l’Autriche prendre une face nouvelle du jour où elle est passée des mains des émeutiers de Vienne aux mains vaillantes qui l’ont arrêtée sur son