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équiper, habiller et entretenir une armée sans autre secours fourni par le gouvernement que quelques cadres extraits de l’armée du nord ou du centre. Narvaez résolut ce problème avec un succès singulier, à la faveur de sa popularité en Andalousie, et surtout de son infatigable activité. Les villes lui offrirent de toutes parts des ressources, et Narvaez, qui était arrivé à la fin de janvier 1838 en Andalousie avec le simple titre de général en chef d’une armée chimérique. avait sur pied, au mois de mai, dix ou douze mille hommes bien vêtus, bien équipés, bien armés, auxquels il pouvait adresser, au moment d’entrer dans la Manche, ces simples et énergiques paroles, qui contrastent un peu avec la pompe des bulletins espagnols : « Soldats, nous n’avons d’autres titres à l’estime publique que d’être affiliés au drapeau espagnol ; il faut en acquérir de nouveaux ; il faut combattre jusqu’à la défaite des ennemis de la patrie, supporter avec résignation les travaux et les privations de la guerre, respecter les peuples, accomplir chacun son devoir avec une égale ponctualité. Défendre le trône d’Isabelle, la régence de son auguste mère et affermir l’empire de la constitution, ce sont des devoirs que l’honneur nous commande de remplir et que nous remplirons… Soldats, écoutez ma voix : tous ceux qui veulent plus que ce que je vous ai dit, tous ceux qui veulent moins ou ceux qui vous conseilleraient autre chose, ceux-là sont les factieux que nous avons à combattre. »

À peine entré dans la Manche, Narvaez fit occuper les points principaux, et divisa le reste de son armée en colonnes mobiles se reliant entre elles et enveloppant le pays dans un réseau de fer et de feu. Les effets de cette habile manœuvre, exécutée avec une rare vigueur, ne se firent point attendre ; chacun des cabecillas vint successivement se faire battre. Palillos, Orejita, Cipriano, eurent à peine le temps de se sauver dans la montagne, abandonnant leurs hommes, qui déposaient leurs armes ; mille se rendirent, dans une seule rencontre, à la Calzada, après une lutte obstinée. D’un autre côté, Narvaez travaillait à relever le moral des populations civiles, à rétablir l’action administrative, à remettre à la tête des municipalités des hommes énergiques et à réorganiser les milices nationales. Tour à tour il employait le pardon à l’égard des factieux ou se faisait justicier, selon le mot espagnol. C’est ainsi qu’il fit fusiller le prêtre don Félix Racionero, reconnu comme ayant trempé dans le massacre des trois cents miliciens brûlés à la Calzeda de Calatrava. En trois mois, la Manche était pacifiée, l’autorité reprenait son empire, les communications étaient rouvertes entre Madrid et l’Andalousie, et Narvaez pouvait laisser le commandement au général Nogueras, commandant régulier de la province. Le seul obstacle qu’eût eu à vaincre Narvaez ne résidait point dans l’état général du pays ; il avait eu à maintenir la discipline et la moralité d’une jeune