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au sol et à la race, se trouve être encore comme la garantie et l’instrument nécessaire des innovations légitimes : — c’est la royauté. Au milieu de tous les bouleversemens de la Péninsule, la monarchie est restée debout vivante et respectée, plus forte peut-être après chaque crise où elle semblait devoir s’engloutir. L’Espagne n’a point taché les pages de son histoire du sang d’un roi, et ses plus fiers tribuns eux-mêmes, -le croirait-on ? — s’en sont vantés quelquefois en attachant à ce fait, par comparaison, l’idée de la plus mortelle injure pour la France. Il en résulte que la royauté a gardé en Espagne beaucoup de ce prestige qu’elle a tant de peine à retrouver là où les révolutions ont porté la main sur les personnes royales. Pour les Espagnols, la royauté n’est point une fiction ; ce n’est point un être de raison confiné dans un rôle abstrait par les inventeurs de machines gouvernementales ; c’est quelque chose de vivant et de réel qui se mêle à l’existence nationale et qui la résume. On aime à la voir paraître personnifiant au premier rang les goûts, les instincts, les traditions du pays ; on aime qu’elle se montre dans l’action politique, de même qu’on la voit s’arrêtant dans la rue pour suivre un prêtre qui porte le viatique à un mourant. On lui pardonne même beaucoup parfois, tant on y voit peu une abstraction ! C’est toujours la royauté, c’est-à-dire la plus essentielle des réalités politiques, celle qui occupe le premier rang dans l’ensemble de la vie nationale. Le jour où un homme, un parti, dans un intérêt propre, fait descendre cette réalité au second rang et la place dans une situation visible de défaite et d’infériorité, ce jour-là, homme ou parti se met en contradiction avec un sentiment universel. En faisant la royauté prisonnière de guerre, en se substituant à elle dans ses communications avec le peuple espagnol, Espartero, soit enivrement d’ambition, soit absence d’intelligence politique, ne voyait pas qu’il froissait un instinct national, d’autant plus que cette royauté vaincue était une femme. C’était se placer dans des conditions impossibles de durée ; c’était se vouer à une lutte permanente, souvent sanglante, pour défendre un pouvoir que chaque effort devait rendre plus impopulaire, parce qu’il heurtait le plus invincible des sentimens espagnols. Cela est si vrai, que, lorsque ce brave et malheureux Diego Léon, en 1841, commettait la plus grande des témérités politiques en attaquant à main armée le palais de Madrid pour s’emparer de la reine, c’était lui qui semblait le libérateur et qui avait les sympathies populaires. Le soulèvement de 1843, qui a mis fin à la régence du duc de la Victoire, a été peut-être le mouvement le plus national de l’Espagne après celui de 1808.

Le mérite du général Narvaez, c’est d’avoir senti au juste cette situation et d’avoir remis à leur vrai rang les grands élémens politiques qui vivent en Espagne ; il y a trouvé une place qui suffit encore à une légitime