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espagnol, c’est d’avoir immédiatement envisagé sa position et ce qu’il avait à faire avec un rare sang-froid, et cela est dû en grande partie, sans aucun doute, de l’aveu même de ses collègues, au général Narvaez. C’est le propre de tels hommes de se sentir vraiment eux-mêmes et de retrouver toute leur vigueur et leur netteté d’action, quand la lutte leur offre un but précis à atteindre : le général Narvaez avait l’ordre à maintenir en Espagne au milieu des révolutions européennes. Il n’entrait dans l’esprit du gouvernement espagnol nulle pensée d’hostilité à l’égard de la France ; un des premiers usages que le général Narvaez faisait de la parole après les événemens de février, c’était pour marquer les intérêts qui restaient communs entre les deux pays. Quant à l’intérieur, sans fléchir un moment devant les circonstances, sans concevoir une de ces faiblesses, une de ces pensées de transaction, qui ont été la perte de plus d’un gouvernement, le cabinet de Madrid se mettait nettement en présence du péril, de quelque côté qu’il vînt, et, dès le 4 mars, il demandait aux cortès des pouvoirs extraordinaires pour agir au besoin sans elles et dictatorialement. « Il faut prévenir les catastrophes, disait le général Narvaez, il faut les redouter et prendre des mesures contre elles. Prévenir le mal, c’est le but du gouvernement. » Les cortès étaient prorogées le 21 mars, et les garanties constitutionnelles suspendues dans toute l’Espagne le 27. Ces mesures étaient-elles inutiles ? Déjà, dans la nuit du 26 au 27 mars, éclatait la première émeute à Madrid. Le général Narvaez attendait au palais en grand uniforme, faisant ses dispositions de combat. Au premier bruit du mouvement, il était prêt, et en quelques heures l’anarchie était vaincue sans avoir eu le temps de s’étendre et de se montrer au jour. Le 7 mai, une insurrection nouvelle n’était pas plus heureuse, mais le capitaine-général Fulgosio y périssait. Le 13 mai, on avait encore à vaincre un soulèvement militaire à Séville, et, dans le courant de l’été, la bannière carliste, étrangement alliée à la bannière républicaine, se relevait dans les montagnes de l’Aragon et de la Catalogne pour reculer devant les vives et habiles poursuites du général Concha. Cabrera se voyait contrait d’errer en guerrillero dans ces contrées de l’Aragon où il avait régné en vice-roi émancipé aux plus beaux temps de la guerre de don Carlos, tandis que son maître, le comte de Montemolin, se faisait arrêter par quelques gendarmes français aux frontières. Le gouvernement espagnol usait en même temps de conciliation. Il étendait l’amnistie à tous les réfugiés carlistes et progressistes ; il appelait aux emplois les hommes de toutes les opinions ; il nommait maréchal-de-camp le brigadier Facundo Infante, ancien exalté, et accordait une pension à la veuve du chef politique Camacho, tué à Valence en défendant la régence d’Espartero en 1843. C’est par une série d’actes de ce genre que la politique conservatrice, entre les mains du général Narvaez,