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ceux qu’ils emploient si invariablement. Qu’on ouvre un Keepsake ou un Landscape récemment publié, on n’y trouvera rien qu’on ne croie avoir déjà vu dans cent autres recueils de même espèce : toujours des éclats de lumière au milieu de l’obscurité, toujours des corps nacrés opposés à des corps en velours. Il en est à peu près de ces formules épuisées comme des ruses musicales auxquelles recourent sans cesse certains chanteurs italiens. À un piano de quelques mesures ils font inopinément succéder un forte retentissant ; tout l’artifice consiste dans la violence du contraste et ne peut avoir d’autre raison de succès que la surprise qu’il cause. Les estampes anglaises devaient d’abord séduire par leur aspect inattendu ; mais, depuis que la reproduction infinie des mêmes effets leur a ôté leur principal prestige, il est au moins difficile qu’elles ne nous laissent pas indifférens.

Il y aurait toutefois injustice à ne considérer ici que l’abus de la méthode générale, sans tenir compte de quelques talens particuliers. Depuis les graveurs en manière noire formés par Reynolds et les paysagistes de l’école de Vivarès, l’Angleterre a produit plusieurs artistes remarquables : Raynbach, entre autres, buriniste fin, dessinateur beaucoup plus exact que la plupart de ses compatriotes, et, dans un tout autre genre, Cousins, qui, dans ses planches d’après Lawrence, essaya l’un des premiers d’allier la taille-douce à la manière noire[1]. Raynbach et Cousins, bien que fort dissemblables par la nature du talent et la manière, peuvent être rapprochés l’un de l’autre, parce qu’ils paraissent avoir été les derniers graveurs de leur pays qui se soient appliqués à donner à leurs travaux un caractère sérieux et à demeurer dans les limites de l’art. Depuis eux, on s’est rarement adressé à l’intelligence ; en vertu du principe contraire au principe admis en Allemagne, on n’a songé qu’à amuser les yeux. Sans parler de nouveau de ces milliers de vignettes uniformes qui renaissent chaque année du même fonds, on peut dire qu’une somme de mérite réel a été dépensée à traiter des sujets d’une portée moindre encore. Les plus habiles artistes anglais ont à peu près délaissé l’histoire et le portrait pour représenter des animaux ou des attributs de chasse. Ce genre de gravure a pris progressivement une importance et des proportions excessives. Aujourd’hui on grave de grandeur naturelle des chiens, des chats, des pièces de gibier, etc., et il est telle planche, offrant pour tout objet d’intérêt un perroquet perché sur son bâton, dont la dimension excède

  1. Ses portraits de Pie VII, du jeune Lambton, etc., ont une fermeté d’aspect qu’on ne trouve pas dans les tableaux qui leur ont fourni des prétextes plutôt que des modèles. Cousins, en interprétant plus que librement les œuvres de Lawrence, les complète et leur prête un charme fort avantageux à la réputation du peintre lorsqu’on ne commît pas les originaux, mais qui, dans le cas contraire, doit servir principalement la réputation du graveur.