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m’a porté malheur ; que mon infortune retombe tout entière sur celui qui m’a trompée ! Ma faute n’est pas l’œuvre d’un cœur dépravé corrompue, j’aurais été plus prudente, j’aurais demandé des gages avant de me livrer. Pure et sans tache, je me suis livrée sans condition et sans arrhes ; l’abandon que je subis, et qui pour le monde s’appelle un châtiment, n’alarme pas ma conscience ; moins pure, moins candide, j’aurais été plus prévoyante, et la ruse n’aurait pas pu triompher de mon ignorance ; j’ai succombé, parce que j’ai cru ; j’ai livré ma jeunesse et ma beauté ; ma faute, que Dieu me pardonne sans doute, est d’avoir douté du mensonge. L’homme qui m’a rendue mère ne sera jamais mon mari, et je ne me plains pas ; mais je suis loyale et fière, je ne veux tromper personne : jamais aucun homme n’aura le droit de me reprocher mon passé ; je n’aurai jamais besoin de confesser ma faute. J’accepte mon malheur sans confusion et sans colère ; je ne réclame la protection ni l’indulgence de personne ; la conscience de ma loyauté suffit à calmer mes remords. Que les jeunes filles se détournent en me voyant passer, je ne les maudirai pas, car elles ne savent ce qu’elles font. Dieu a sondé mon cœur, et sait pourquoi j’ai failli ; Dieu m’a jugée, et sa justice me console de l’injustice des hommes.

Assurément il y a dans la conception et la composition de ce caractère une grandeur, une simplicité, une austérité que personne ne saurait méconnaître. Quoi qu’on pense de la hardiesse, de la témérité de cette donnée, on ne peut s’empêcher d’admirer la franchise avec laquelle l’auteur l’a posée ; il n’essaie pas, en effet, de présenter cette donnée sous une forme douteuse ; il l’offre au spectateur telle qu’il l’a conçue, sans déguisement, sans restriction. Quelques ames timorées pourront s’en alarmer ; il ne prend nul souci de leurs scrupules ou de leur étonnement ; ce qu’il a voulu, ce qu’il a rêvé, il le dit avec une simplicité qui sans doute, pour les esprits enclins à la pruderie, s’appellera crudité. Pour moi, je ne saurais le blâmer ; en poésie pas plus qu’en histoire, je ne conçois guère les compromis ; du moment qu’on veut rompre en visière à l’opinion commune, du moment qu’on veut battre en brèche les idées acceptées par la foule comme des articles de foi, il ne faut pas laisser la moindre équivoque sur sa pensée, il faut exposer son dessein avec une clarté qui ne laisse aucune prise à la controverse ; c’est à mes yeux la seule manière d’accepter tout entière la responsabilité de sa pensée. Quand on a résolu d’ébranler les principes reçus comme souverainement vrais, il ne faut pas les ébranler sourdement, il faut les heurter en plein jour, à la face du soleil. L’auteur de Claudie n’a pas reculé devant cet impérieux devoir ; il est impossible de se méprendre sur son intention.