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sa pensée à l’état naissant que de remanier la forme déjà trouvée. Il se passe, en effet, dans l’expression de la pensée, quelque chose d’analogue au phénomène observé dans la composition des corps. Tels élémens qui se combinent entre eux lorsqu’ils se trouvent à l’état naissant, c’est-à-dire au moment où ils se dégagent d’une combinaison précédente, refusent de se combiner lorsqu’ils sont libres depuis longtemps : — eh bien ! telle pensée qui, au moment où elle est conçue, appelle une expression rapide et fidèle, cherche vainement une forme nouvelle ou ne la rencontre qu’à grand’peine lorsqu’elle est éclose depuis long-temps.

L’analyse de Claudie montre clairement que l’auteur ne possède pas encore à fond toutes les ressources de l’art nouveau où il s’aventure, Ce n’est pas que je veuille exagérer l’importance du métier, qui enseigne à tirer bon parti du plus mince filon. Je sais tout ce qu’il y a de vulgaire et de vide dans cette industrie qui peuple aujourd’hui de redites éternelles tous les théâtres de boulevard, et parfois aussi le théâtre qu’on appelle la maison de Molière. Je ne crois pas qu’il existe, pour la composition d’un poème dramatique, des procédés aussi nettement, aussi rigoureusement définis que pour la fabrication des indiennes ou des soieries. Il y a sans doute parmi nous plus d’un dramaturge qui compare son génie au génie de Jacquart ; mais cette vanterie, très acceptable au point de vue industriel, n’est au point de vue littéraire qu’une billevesée parfaitement ridicule, et dont je n’ai pas à m’occuper. Toutefois, si le métier proprement dit, qui consiste à combiner les entrées et les sorties, à préparer les changemens à vue, ne mérite pas une attention sérieuse, il faut bien reconnaître qu’il existe, pour la poésie dramatique, des conditions particulières, des lois impérieuses qui ne sont jamais impunément méconnues.

Dans la poésie dramatique, la fantaisie ne trouve pas à se déployer aussi librement que dans le roman. Il y a une question de prévoyance qui domine toutes les autres questions. Comme l’action se passe sous les yeux du spectateur, il faut que chaque scène s’enchaîne rigoureusement à la scène qui précède, à la scène qui suit. Si l’auteur se laisse emporter par sa fantaisie, et dispose les diverses parties de l’action comme les chapitres d’un roman, il est à peu près certain que l’attention languira, que le spectateur écoutera parfois d’une oreille distraite, et ne tiendra pas compte au poète de toutes ses pensées. La condition dont je parle n’est pas toujours respectée dans le Champi ; Claudie mérite le même reproche. Sans doute, l’action se déroule simplement, mais elle n’a pas toute la rapidité qu’on pourrait souhaiter ; plus d’une scène, quoique très vraie, aurait besoin d’être abrégée, et le dialogue, dégagé de détails inutiles, soutiendrait plus sûrement