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crois pas que les esprits délicats mettent Claudie sur la même ligne que la Mare-au-Diable ; car, si l’on retranche de ce dernier ouvrage le prologue quelque peu nébuleux qui le précède, il reste un poème tour à tour frais comme une idylle et grand comme une épopée. Claudie ne mérite pas les mêmes éloges. Je ne dis pas que le public ait eu tort d’applaudir ; la foule émue, attendrie, a battu des mains : son enthousiasme était de la reconnaissance. Elle remerciait l’auteur d’avoir préféré le développement des caractères à l’entassement des événemens, c’est, de la part de la foule, une preuve de bon sens et de bon goût. Sauf les réserves que je viens d’exprimer, je m’associe de grand cœur aux applaudissemens recueillis par Claudie, mais je suis loin de voir, dans ce drame, l’avènement d’une nouvelle doctrine poétique. S’il fallait, en effet, chercher les aïeux de Claudie, je n’aurais pas besoin, pour les trouver, de feuilleter long-temps le passé ; s’il fallait dire de qui procède George Sand dans le domaine dramatique, je nommerais Sedaine. Le Philosophe sans le savoir, représenté il y a quatre-vingt-cinq ans, exprime en effet très fidèlement la doctrine suivie par l’auteur de Claudie. Dans la comédie de Sedaine comme dans le drame nouveau, nous trouvons des scènes attendrissantes conduites très simplement, l’émotion obtenue par des moyens qui semblent n’avoir coûté aucun effort de pensée. C’est pourquoi, bien qu’à mes yeux les généalogies littéraires n’offrent pas un bien vif intérêt, si j’avais à me prononcer sur cette question de pure érudition, je n’hésiterais pas à ranger Sedaine et George Sand dans la même famille ; mais Sedaine ne s’est pas contenté de combiner toutes les parties du Philosophe sans le savoir avec une rare prévoyance il a développé chaque scène dans de justes proportions, si bien que l’attention ne languit pas un seul instant. Aussi cet ouvragé est-il demeuré comme un modèle de finesse et de simplicité. L’auteur de Claudie, qui a choisi les mêmes moyens pour émouvoir la foule, n’a montré ni la même prévoyance ni la même sobriété.

Si les disciples de Sedaine veulent lutter avec avantage contre l’école qui continue à se dire nouvelle, bien que la plupart de ses œuvres aient déjà singulièrement vieilli ; s’ils veulent sincèrement substituer l’émotion à la curiosité, il faut qu’ils se résignent à étudier le chef-d’œuvre de leur maître avec une attention persévérante pour apprendre où finit la naïveté, où commence la manière. Dans Claudie même, si simplement conçue, si vraiment naïve dans presque toutes ses’ parties, il serait facile de noter plus d’un passage où la naïveté n’est pas exempte d’une sorte d’affectation. Ce défaut n’appartient pas tant à la pensée qu’aux formes du langage. Si l’auteur, ne se fût pas obstiné dans l’emploi des locutions berrichonnes, ses personnages n’auraient jamais eu l’air de poser devant nous.