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Un sourire si doux de la bouche et de l’œil,
Qu’il se sentit troublé dans sa joie égoïste ;
Mais l’hôtesse nocturne apparut sur le seuil.

— « Homme chéri des dieux, dit la belle inconnue,
Te plaît-il de me voir et d’écouter mes chants ? »

— « Salut ! vierge aux yeux noirs, et sois la bienvenue !
Nulle voix pour mon cœur n’a d’accords plus touchants ;
J’aime ton doux parler et ton brillant visage,
Mais dis-moi ton pays, ta fortune et ton nom. »

— « Hélas ! je suis semblable aux oiseaux de passage,
Et je viens des pays où soupire Memnon.
Je m’appelle Myrrha. Des pirates de Rhodes
M’ont vendue autrefois au maître que je sers ;
Il m’a fait enseigner l’art de dire les odes
Et d’assouplir au chant le doux rhythme des vers.
S’il te plaît d’écouter, jeune homme aux mains savantes,
Chanter en vers joyeux le vieillard de Téos,
Ou s’exalter Alcée en strophes émouvantes,
Ou soupirer Sapho dont s’honore Lesbos ;
Si le bruit des chansons éveille ton génie,
Rends ton pinceau docile et plus légers tes doigts ;
Je viendrai chaque jour, invoquant l’harmonie,
Essayer de charmer ton travail par ma voix. »

— « Regarde sur ce mur cette fraîche peinture,
Myrrha. C’est une muse. Ah ! ta joue a pâli,
Jeune fille. Est-ce là ton port et ta figue ?
Tu les verrais plus beaux dans un acier poli. »
— « Ai-je pu mériter une pareille gloire
De sourire à jamais à la postérité !
O peintre bien-aimé des filles de mémoire,
Les dieux donnent la vie et toi l’éternité. »
— « Hélas ! un seul baiser de ta bouche adorée
Paîrait tout mon travail ! Tes lèvres, ô Myrrha,
De l’inspiration sont la source sacrée ;
Si tu veux, le portrait demain s’achèvera. »
Mais l’enfant le repousse avec un doux sourire.
« Non, dit-elle, je veux te payer en chansons… »
Et déjà sa voix fraîche et sa joyeuse lyre
Aux vers d’Anacréon prêtent leurs doubles sons :

« Allons, peintre fameux, peintre à la main puissante,
Veux-tu me faire le portrait