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aux lieux qui nous ont vus naître, l’histoire a un charme particulier, qui attire les esprits les moins cultivés eux-mêmes ; car, ainsi que le disait le savant bénédictin dom Pommeraye, « tout le monde n’est pas de l’humeur de ceux qui ne se plaisent qu’à lire les grands événemens de guerre ou de paix… Il y en a beaucoup qui aiment mieux apprendre la suite d’une affaire commune, ordinaire, et telle qu’il leur en peut arriver de semblables, que de voir le récif d’un exploit militaire ou d’une intrigue de cour, qui sont des avantages auxquels ils ne sont nullement exposés pour n’être ni dans les armes ni dans le grand monde. »

Au moyen-âge, et c’est là pour l’érudition une lacune bien regrettable, il n’y a point, dans toute la France, une histoire de ville écrite par des contemporains. Les seules monographies qui soient arrivées jusqu’à nous sont exclusivement ecclésiastiques et ne concernent que des abbayes, des évêchés ou des cathédrales. Les chroniqueurs laïques eux-mêmes ne mentionnent les cités les plus importantes qu’à l’occasion des événemens qui appartiennent à l’histoire générale, et c’est seulement au XVIe siècle qu’on voit paraître les premières histoires de villes ou de provinces composées sous la double influence de la renaissance classique et des traditions du moyen-âge. La plupart de ces essais, au point de vue de l’érudition positive, ne sont pas sérieux ; les auteurs n’ont souvent consulté que des romans de chevalerie, comme l’ont fait, entre autres, Symphorien Champier, qui publia, dès 1507, un in-folio latin sur l’Origine et l’illustration de la ville de Lyon, et Alain Bouchard, à qui l’on doit des Chroniques de Bretagne composées d’après les romans du cycle d’Arthur. Au commencement du XVIIe siècle, la partie romanesque se dégage ; mais, sous la pression exclusive des idées du temps, l’histoire locale, tout en devenant plus précise, reste généralement encore ecclésiastique et féodale ; de plus, elle manque de méthode, elle mêle sans cesse les faits généraux et les faits particuliers et s’arrête à d’oiseuses questions d’étymologie ; elle flatte les villes comme les généalogistes flattent les familles en les vieillissant pour ajouter par l’âge à leur noblesse, et elle adopte sans examen tout ce qui peut plaire au patriotisme de clocher. Déjà pourtant l’impulsion est donnée : la plupart des villes de quelque importance ont trouvé, dès la première moitié du XVIIe siècle, leurs historiens ou leurs apologistes. Les curés de paroisse, les moines, les gens de robe et les médecins, composent le plus ordinairement cette phalange d’historiographes ; puis, à côté des historiographes, il y a les poètes de la pléiade municipale, qui brodent sur le thème du Guide du Voyageur en France des hexamètres latins, quelquefois même des hexamètres grecs, où les hommes plus ou moins illustres, les antiquités, les processions, les églises, la vertu des femmes, l’excellence des légumes et des fruits et la saveur des vins sont célébrés sur le mode virgilien, avec un mélange de prétention et de bonhomie qui n’appartient qu’aux écrivains de ce genre et de cette époque[1].

La forte et saine érudition de l’école bénédictine et des savans du règne de Louis XIV, en constituant, par la recherche, la critique et l’analyse des textes ; une sorte de méthode expérimentale dans l’histoire, imprima aux études locales

  1. Voir, entre autres, les Fastes de Rouen (Fasti Rotomagenses), d’Hercule Grisel prêtre de la paroisse Saint-Maclou de Rouen, 1631, 2 vol. in-4o ; le poème de Raoul Boutrais intitulé Aurelia, et le poème de Simon Rouzeau à la louange du vin de l’Orléanais.