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général et tout-à-fait actuel, relatif à l’agriculture, à l’industrie, au commerce, au caractère, aux mœurs, aux coutumes et au langage. Chacune de ces trois parties, traitée avec tous les développemens que pouvait comporter l’étendue même de la publication, présente un intérêt qui lui est propre, des notions qu’on chercherait vainement dans l’histoire générale, et que cette histoire même ne peut pas contenir.

En retraçant, depuis les premiers temps connus jusqu’à la division moderne par départemens, les vicissitudes politiques de chaque province, on a retracé, par le détail, le tableau même de la formation de notre unité nationale, et c’est là un des côtés les plus attachans du livre. En effet, cette France aujourd’hui si compacte ne s’est cependant établie que d’hier dans ses frontières actuelles, car la conquête de l’Alsace ne date que de la capitulation de Strasbourg en 1681 ; la Lorraine ne fut définitivement française qu’en 1766 ; la Corse est également une acquisition du XVIIe siècle, et le comtat Venaissin est resté dans le domaine de Saint-Pierre jusqu’à la révolution. Certes nous sommes loin d’adhérer à ce système ultra-national qui veut que nous soyons le peuple type de l’Europe ; nous ne croyons pas que la Providence ait arrangé tout exprès notre histoire pour la présenter comme un modèle aux autres nations, qui, du reste, ne seraient point toujours tentées de l’imiter, et il y a, ce nous semble, beaucoup à rabattre dans ces éloges que des écrivains trop disposés à flatter leur pays, peut-être pour en être flattés à leur tour, se sont plu à nous prodiguer ; mais, cette réserve faite, il faut reconnaître que notre nationalité, pendant quatorze siècles, marche et se développe avec une suite et une logique qu’on ne rencontre guère ailleurs. L’administration savante et forte des conquérans romains jette les premiers germes de l’unité administrative au milieu des quatre cents peuples qui se partagent la Gaule ; puis, quand l’invasion barbare vient morceler la terre, le catholicisme s’empare des conquérans et les soumet à l’unité religieuse. Le pouvoir théocratique est combattu par la féodalité, la féodalité par les communes ; celles-ci sont maintenues à leur tour par la royauté, qui représente l’idée abstraite d’une patrie qui n’a pas encore de racines dans le sol, tandis que, d’autre part, une autre abstraction, celle de la justice et du droit, s’incarne dans les parlemens, dont la mission est de maintenir l’équilibre et l’ordre au milieu de ces forces contraires toujours prêtes à se combattre. C’est là ce qui, dès le XVIe siècle, faisait l’admiration de Machiavel, le véritable créateur de la philosophie politique de l’histoire ; c’est là aussi ce qui a fait notre grandeur et notre force. Cette œuvre d’agrégation se continue à travers les désastres des guerres étrangères, les déchiremens des guerres religieuses. Une seule bataille perdue par les Anglo-Saxons contre une armée normande livre l’Angleterre à Guillaume. Les grandes batailles du moyen-âge perdues par la France contre les armées de l’Angleterre ne donnent à l’Angleterre victorieuse que de stériles trophées. Édouard III à Crécy, le prince Noir à Poitiers, Henri V à Azincourt, ne gardent pas même le coin de terre où reposent les soldats tombés sous leur bannière. Ils s’arrêtent dans le triomphe, et le lendemain de la victoire, ils reculent jusqu’à l’Océan. Chose vraiment remarquable ; la ligue, qui s’allie avec l’étranger, qui prêche la croisade contre la royauté, qui étend partout sa propagande fédéraliste, la ligue, en sauvant l’unité de la croyance, sauve en même temps l’unité politique, car le triomphe de la réforme eût conduit inévitablement le pays à une organisation