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et que la résidence de la cour ailleurs rendroit à Paris les cabales moins aisées par la distance des lieux, quelque peu éloignés qu’ils fussent… D’ailleurs il ne pouvoit pardonner à Paris sa sortie fugitive de cette ville, la veille des Rois, ni de l’avoir rendu malgré lui le témoin de ses larmes à la première retraite de Mme de la Vallière. » Il semble aussi qu’un pressentiment secret avertissait le grand roi du sort que sa bonne ville réservait à ses descendans, et en même temps qu’il ajoutait au royaume de nouvelles provinces, il rendait en 1680 un édit pour borner l’agrandissement de la capitale, « de peur, est-il dit dans les considérans, que cette capitale, comme quelques grandes villes de l’antiquité, ne trouvât dans sa grandeur le principe même de sa ruine. »

Souvent débattue sous la monarchie, la question de la translation du gouvernement fut agitée de nouveau à la révolution de 89, et les tendances fédéralistes ou municipales qui se manifestèrent à cette époque ne furent en réalité, comme au temps de la ligue, qu’une protestation contre l’autocratie de la capitale, dont les clubs constituèrent sous la terreur le véritable gouvernement, comme ils l’avaient constitué au XVIe siècle, sous le nom de conseil de la sainte union. Ces tendances se révèlent chaque fois qu’une crise violente éclate : jamais elles ne se sont manifestées plus vivement que pendant les années que nous venons de traverser, et elles ont offert aux journées de juin un exemple sans précédens, non-seulement dans notre histoire, mais même dans celle des autres peuples : l’exemple d’une nation toute entière marchant contre sa capitale.

Sous le rapport moral, Paris a reçu aussi plus d’un avis sévère. Beyle, dans les Mémoires d’un Touriste, M. Bazin dans l’Époque sans nom, ne lui ont épargné ni les satires, ni les railleries mordantes. Nodier surtout, le sceptique au fin sourire, à qui l’Institut ne fit jamais oublier ses montagnes natales, Nodier s’emporte en maintes pages de ses livres, avec une colère pleine à la fois de bonhomie et de malice, contre les séductions et les mensonges de cette vie artificielle et fébrile qu’on appelle la vie parisienne. Il sait tout ce qu’il y a de misères, de vice et d’égoïsme sous cette civilisation en apparence si splendide ; il sait que la suprématie, toujours contestée et toujours acceptée, des grandes capitales, ce n’est ni la morale, ni la vraie liberté, ni la parfaite convenance des lois, ni les idées religieuses qui la donnent, et, du haut de son dédain, il jette à la ville que flattait Julien, à cette ville restée païenne dans ses plaisirs et dans ses mœurs, cette sévère apostrophe : « Chaque fois qu’une ville immense rassemblera en elle toutes les aberrations de l’esprit humain, toutes les folies de la fausse politique, le mépris des vérités saintes, la fureur des nouveautés spécieuses, l’égoïsme à découvert, et plus de sophistes, de poètes et de bateleurs qu’il n’en faudrait à dix générations corrompues, elle sera nécessairement sans rivale la reine des cités. Rome n’avait plus ni ses consuls, ni son sénat, ni ses orateurs, ni ses guerriers lors des fréquentes irruptions du Nord ; elle n’opposait aux barbares que des mimes, des courtisanes et des gladiateurs, les restes hideux d’une civilisation excessive et dépravée qui sortait de tous les égouts, et Rome demeura la capitale du monde. » Cela est triste à dire, mais Nodier a peut-être raison ; et nous regrettons, par cela même, que dans la notice qu’ils ont consacrée à la capitale, MM Aristide Guilbert et de Gaulle se soient attachés surtout à la montrer sous son côté brillant. Aujourd’hui que la rapidité des communications et le bon marché des voyages mettent pour