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marchande dans ceux où l’on gagne par le commerce, amie de la chicane à toutes les époques, mais à toutes les époques aussi prête aux grandes choses, et même aux entreprises téméraires, unissant à l’activité et à la persévérance un grand élan pour braver le danger et vaincre les obstacles. En Bretagne, la population n’est pas moins vigoureuse, mais au physique comme au moral elle est taillée sur un patron tout différent. Autant les Normands sont actifs, chercheurs, prompts à adopter tous les perfectionnemens, autant les Bretons sont apathiques, attachés à la routine ; d’un côté on peut prendre pour devise l’auri sacra fames, de l’autre, le contentus parvo. « Abstiens-toi, le ciel t’aidera, telle est, dit avec raison M. Guilbert, la loi du paysan breton ; pauvre, il accepte avec indifférence toutes les privations ; malade, il ne combat point le mal ; mourant, il attend sa dernière heure sans se plaindre. Toutes les afflictions, tous les maux, toutes les misères le trouvent également résigné… Les Bretons sont intelligens, fiers sans raideur, religieux, soumis aux pouvoirs établis par un sentiment de discipline ou de déférence hiérarchique, patiens, bons, hospitaliers, loyaux dans les relations ordinaires de la vie ; leur bravoure proverbiale tourne naturellement à l’héroïsme, et la force d’inertie qu’ils opposent à toutes les épreuves les rend aptes à supporter les plus rudes fatigues… Leurs affections sont vives, et on les reconnaît à cet amour de la terre natale, qui se manifeste chez eux avec l’énergie d’une passion. Tout homme qui n’est point Breton, sans en excepter le Français ou le Gallo, est pour eux un étranger. En un mot, cette vieille nationalité bretonne, pour laquelle ils ont combattu si long-temps, est devenue un instinct moral auquel ils obéissent toujours, et souvent même sans en avoir la conscience. Associant ce sentiment à leurs pratiques religieuses, ils revêtent la statue des saints du costume national, quand approche la fête du grand pardon. »

Ce que nous venons de dire des provinces du nord, de l’ouest et du centre en-deçà de la Loire, s’applique également à la région de l’est et du midi. Ainsi, enclavés au milieu des Gascons et parlant une langue à part, qui depuis trente siècles n’a rien emprunté aux autres langues, les Basques mettent leur point d’honneur à se prétendre d’une autre race que leurs voisins. L’habitant du Roussillon a tous les grands côtés du caractère espagnol : il est grave, tenace, sobre, résolu. La Provence offre une variété de types qui rappelle la diversité des races attirées dans ce beau pays par la douceur du ciel et la prodigalité du sol, et sous l’habit français il y a là des Romains, des Grecs, des Germains, des Ibéro-Ligures, des Ibères et des Maures. Le Bordelais des vallées est vif comme l’air qu’il respire, spirituel et railleur ; l’habitant des Landes est taciturne et sombre. Le Lorrain, habitué sous le gouvernement des ducs à lutter sans cesse contre des voisins puissans, a gardé, avec le sang de ses aïeux, des habitudes de prudence et de réserve. Le paysan, dans le Limousin, est dur et persistant au travail, économe, ennemi du luxe même le plus modeste, tandis que dans le Berri il est indolent, passionné pour tout ce qui brille, et toujours prêt à donner raison au proverbe local : habit de velours et ventre de son. Cette infinie variété se trouve partout, dans le type des provinces aussi bien que dans le type des villes, et non-seulement les villes ne se ressemblent pas moralement, mais souvent même elles ont entre elles des relations peu bienveillantes. L’intérêt, l’amour-propre, les vieux souvenir, la variété des opinions politiques, l’ambition