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de même on abandonnait à la gauche tous les principes de gouvernement qu’on avait soutenus contre elle ; on lui abandonnait les consolations dues au général Changarnier, pour prendre une plus dure revanche sur le président de la république en corrigeant plus vertement M. Baroche, grace à la bonne amitié de la gauche. Ce n’était pas une coalition : il est convenu que le mot ne signifie rien. Le général Changarnier suppliait qu’on ne le remerciât point de ses services, et l’on passait son nom sous silence, car ses services, c’était d’avoir balayé la montagne au 13 juin, et l’on avait besoin de la montagne pour balayer maintenant le ministère ; on ne pouvait donc pas lui causer ce chagrin-là… Mais ce n’était pas une coalition. Les hommes de la droite déclaraient qu’ils votaient contre le ministère uniquement parce qu’il avait destitué le général Changarnier ; les hommes de la gauche votaient contre lui parce qu’il avait toujours obéi aux conseils du général Changarnier et de la droite : ces votes dérivaient de deux courans contraires ; qu’importe, puisqu’ils se rencontraient dans l’urne ?… Mais ce n’était pas une coalition, Comme dit Marc-Antoine dans la Mort de César : « Mais Brutus est un homme d’honneur ! »

Ce n’est point par plaisir que nous revenons sur cette funeste et retentissante histoire de nos derniers orages parlementaires ; c’est parce que nous ne pouvons contenir l’expression de nos regrets, de notre sincère douleur, en voyant dans ce péril, presque en péril de suicide, des institutions auxquelles nous appartenons de toute notre ame. Nous ne sommes point de la presse repentante, selon le mot dédaigneux dont M. Thiers ne s’est point refusé la représaille ; nous ne nous repentirons jamais d’avoir cru au noble charme de la parole, à l’empire des discussions raisonnables, à la majesté de la tribune représentative : nous voulons toujours y croire. C’est pour cela que nous avons peut-être le droit de supplier ceux qui occupent la tribune en maîtres de ne point nous ravir tous ces trésors, dont ils sont les dépositaires, en les jouant au gré variable des passions ou des caprices.

À quoi bon pousser plus loin la nomenclature de ces dernières scènes encore toutes fraîches dans toutes les mémoires ? Nous n’avons pas de goût à dire comment ceux-ci ou ceux-là ont été tour à tour inscrits sur des listes ministérielles dont aucune n’a pu faire un cabinet, ni pourquoi le président mandait les uns, ni pourquoi il ne mandait pas les autres. À la suite de ces pauvres rumeurs est venu le nouveau message et le nouveau cabinet, le cabinet de transition. Le message qui l’intitule ainsi paraît cependant attendre avec une certaine patience que le cabinet définitif arrive ; il n’a pas l’air convaincu que la majorité se reforme de si tôt, tant il accuse avec soin et précision les dissentimens qui la séparent. Si telle est bien la pensée du message, celle de l’assemblée doit être uniquement de lui donner un glorieux démenti. Que la majorité se reforme sur quelque terrain qui ne soit pas le champ clos d’un autre duel entre les deux pouvoirs ; qu’elle prenne patiemment, sérieusement, le grand rôle d’une autorité délibérante : elle a chance encore de redevenir plus forte que si elle eût gagné toutes les parties qu’elle a perdues. Ç’a déjà été de bon signe de ne pas se laisser amorcer par le piquant des interpellations de M. Howyn-Tranchère ; ç’a été de la méthode un peu prise de court, un peu tardive ; mieux vaut tard que pas du tout. M. Howyn en est pour un joli coup d’épée dans l’eau. Qu’à cela ne tienne ; il en a bien d’autres de rechange : il est jeune, brillant,