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spirituel ; il a toutes les qualités d’une avant-garde ; il ne se fâche pas quand on le laisse en route, et n’en veut point à qui lui dit de partir pour ne pas le suivre.

La majorité rétablie, le président ne peut pas manquer de comprendre qu’il n’a plus rien à gagner sur elle en affectant de ne plus couvrir sa propre responsabilité de la responsabilité collective d’un ministère formé dans le sein de l’assemblée. Ce n’est jamais une bonne position en France de crier trop ouvertement à tout propos : Me, me adsum qui feci ! On se lasse de cela comme les Athéniens se lassaient d’entendre appeler Aristide le juste. Le pouvoir législatif porte encore peut-être aujourd’hui la peine d’avoir été si long-temps tout seul en évidence. C’est pour cela que l’opinion ne s’attriste pas en général autant que nous de ses mésaventures. Sans médire du nouveau cabinet, il est fort à croire que ce ne sera point lui, tout le temps qu’il vivra, qui sera le plus en évidence dans les régions du pouvoir exécutif. La parole habile et digne de M. de Royer, la souplesse d’aptitudes de M. Magne, sont des qualités précieuses pour les affaires ; les personnes que ces qualités honorent ne tiennent point assez de place dans la politique pour qu’il n’y ait point trop de vide autour de la personne du président. Il est de l’intérêt commun que ce vide se remplisse. Il ne grandira ni celui qui s’y résignerait, ni ceux qui s’obstineraient à le perpétuer.

On dirait que les crises ministérielles sont à l’ordre du jour dans toutes les parties de l’Europe : crise en Espagne, crise en Belgique, question de cabinet posée presque en même temps à la tribune piémontaise. Il n’est pas jusqu’à la Suède où il n’y ait eu dans ces derniers jours un ministre qui s’est retiré devant un vote parlementaire : la diète suédoise ayant rejeté un projet de loi sur la réforme électorale dont le ministre des finances était l’auteur, celui-ci a donné sa démission. Au premier abord, la coïncidence de tous ces conflits n’est point avantageuse pour le régime parlementaire : quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que l’institution résiste encore mieux qu’aucune autre aux hasards des circonstances et aux torts des individus.

Le maréchal Narvaez a décidément quitté le pouvoir ; il est trop visible que la résolution qu’il a prise si brusquement avait des causes de nature assez diverse et d’origine assez ancienne. Les hommes d’état de nos jours sont bien moins endurans que ne l’étaient les ministres des vieilles monarchies ; le pouvoir ne vaut plus, à ce qu’il paraît, les ennuis qu’il en coûte pour le garder. Les ennuis du duc de Valence étaient probablement tout à la fois et dans le parlement et à la cour. Il est difficile de gouverner à deux. L’influence de la reine Marie-Christine n’était pas assez puissante sur l’esprit de sa fille pour ruiner tout-à-fait auprès d’elle l’autorité du maréchal ; elle ne l’eût d’ailleurs sans doute pas voulu ; il y avait entre elle et lui trop de liens qu’il n’était pas possible de rompre, trop de services rendus, trop de gratitude exprimée. C’était cependant un penchant naturel de son caractère de balancer à plaisir cette autorité du ministre dirigeant pour l’empêcher de paraître trop prépondérante, et il est vraisemblable qu’il devait y avoir dans les cortès plus d’un intérêt ou d’un orgueil également blessé par cette prépondérance. L’association ne pouvait guère manquer de se nouer d’une façon ou de l’autre, et les mauvais procédés de certaines fractions de la chambre étaient encouragés avec une transparence