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séduits de ce côté aussi par les exemples de l’Angleterre, qui cependant n’avait fait que nous emprunter le procédé. Il était d’origine française, et avait été primitivement connu sous le nom de gravure au lavis : il nous revenait de Londres avec le nom d’aqua-tinta. Il est vrai que, malgré l’habileté de l’inventeur, Leprince, malgré les détails techniques écrits par lui sur sa découverte, notre école avait paru jusque-là y attacher peu de prix et dédaigner d’en approfondir les ressources. L’école anglaise, au contraire, s’était proposé de les étendre ; elle y avait réussi, et, lorsque ses estampes à l’aqua-tinta frappèrent tout à coup les yeux des graveurs français, ceux-ci crurent voir dans ce moyen, seulement perfectionné, une méthode absolument nouvelle[1]. L’un des premiers, M. Jazet entreprit de populariser parmi nous l’aqua-tinta, en l’appliquant à la traduction des tableaux de M. Horace Vernet, et plusieurs jolies planches, le Bivouac du colonel Moncey, la Barrière de Clichy, etc., obtinrent bientôt un légitime succès. Peut-être depuis lors le graveur a-t-il un peu trop compté sur le crédit acquis dans le monde entier au nom du célèbre peintre ; peut-être s’est-il préoccupé plus que de raison des avantages d’un mode de travail expéditif, en sacrifiant au désir de se montrer fécond la recherche de la correction et de la finesse. M. Jazet, ainsi que le prouvent quelques-unes de ses estampes, était plus qu’aucun autre capable d’élever au rang des œuvres de l’art les produits de l’aqua-tinta il est regrettable que sa facilité un peu insouciante ait mis obstacle au développement complet de son talent. Il est plus regrettable encore qu’en dépit d’efforts honorables tentés par MM. Prévost, Girard, etc., pour conserver à l’aqua-tinta un caractère sérieux, une multitude de

  1. Les moyens employés pour graver à l’aqua-tinta nécessiteraient une description longue et détaillée. Nous nous bornerons à dire, pour en donner une idée, que, contrairement à la manière noire, l’aqua-tinta procède de la lumière à l’ombre, et qu’elle exige tout à tour l’emploi de l’eau-forte et celui d’un liquide particulier qu’on dépose sur la planche avec le pinceau, comme lorsqu’on lave sur papier avec l’encre de Chine. Il n’est pas inutile de faire remarquer à ce propos que de tous les modes de gravure dont la découverte est attribuée par nous à l’Angleterre, il n’en est pas un seul qu’elle ait effectivement inventé. On a vit que la manière noire avait été importée à Londres par le prince Rupert. La gravure au pointillé, qu’au XVIIIe siècle on appelait la manière anglaise, était pratiquée dès 1650 à Amsterdam par Lutma, un peu plus tard en France par Morin, c’est-à-dire long-temps avant que Ryland en introduisît l’usage dans son pays. La gravure en couleur prit naissance à Francfort dans l’atelier de Christophe Leblond, qui se rendit à Londres en 1730, et y publia un petit traité sur l’art dont il se déclara très ouvertement l’inventeur. François, graveur lorrain, imagina en 1756 la gravure en manière de crayon, dite également « manière anglaise, » bien qu’elle ait été pratiquée en France par Desmarteau, Magny et Gonord, antérieurement à l’époque des premiers essais de ce genre en Angleterre. Enfin, la gravure au lavis ou aqua-tinta, aux secrets de laquelle on semblait, en 1815, s’initier pour la première fois à Paris, y avait été découverte vers 1760 par Leprince, de l’académie de peinture.