Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/665

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

climats, ainsi que par des notions générales sur les mers, les lacs, les fleuves et les chaînes de montagnes. L’auteur décrit ensuite les divers pays de la terre, à chacun desquels il consacre un chapitre particulier. Ce plan, qui est celui de Ptolémée, a été considérablement agrandi, par le géographe arabe, qui a multiplié les détails topographiques et historiques. De toutes les contrées, l’Arabie est celle qui appelle d’abord son attention : c’est la patrie du fondateur de l’islamisme et le berceau de la langue arabe, l’idiome sacré de tous les sectateurs de l’islamisme. Cette double prérogative a dicté le choix d’Aboulféda. De la péninsule arabique, il nous conduit en Égypte, et de là dans l’Afrique occidentale ou Magreb, dans les îles de la Méditerranée et dans celles de l’Océan à l’ouest de l’Afrique. Il nous fait ensuite retourner sur nos pas pour parcourir successivement la Syrie et les contrées plus à l’est jusqu’en Chine ; puis la portion du globe : comprise entre les deux tropiques, et enfin le nord de l’Europe et de l’Asie. Les chapitres traités avec le plus de soin par l’auteur arabe et avec une prédilection qui lui est commune avec tous les géographes orientaux sont ceux qui comprennent les régions soumises aux lois du Koran. En dehors de ces limites les notions des musulmans sont bornées et incomplètes ; en revanche, ils connaissent beaucoup mieux que nous l’Asie centrale et l’intérieur de l’Afrique.

Quoique Aboulféda ait emprunté une grande partie de ses matériaux à ses devanciers, il y a plusieurs de ses descriptions qui ont un caractère neuf et original, dû à sa position personnelle. Il a étudié de visu la Syrie, centre de la principauté, l’Égypte, le territoire de l’Arabie, qui est au nord de Médine et de la Mecque, et les contrées qui s’étendent au nord de la Syrie, depuis Tarse jusqu’à Césarée de Cappadoce, et à partir de cette dernière ville jusqu’à l’Euphrate. Quelquefois il invoque le témoignage des voyageurs contemporains : son chapitre de l’Inde, par exemple, est rédigé d’après les récits d’un homme qui avait visité ce pays, et se recommande, dans sa brièveté, par le mérite de l’exactitude.

Le livre d Aboulféda n’est pas exempt de défauts, et M. Reinaud reproche avec raison au prince de Hamat d’avoir réuni des documens de provenance très diverse sans s’être embarrassé souvent de les lier ou de les fondre ensemble. Cette négligence imprime au style une obscurité qu’augmente encore le génie elliptique de la langue arabe. Au milieu des systèmes que la science géographique enfanta chez les musulmans, et qui n’étaient au fond qu’une reproduction de ceux qui avaient divisé les savans de la Grèce, Aboulféda s’abstient ordinairement de se prononcer, et, lorsqu’il adopte une opinion, il ne la discute pas ou ne cherche pas à la justifier. Son traité n’en est pas moins une œuvre capitale. Les défauts que l’on y remarque tiennent aux distractions d’une vie littéraire sans cesse troublée par les exigences d’une haute position politique. Le loisir manqua au prince arabe pour revoir son ouvrage, monument qu’il était jaloux d’élever à sa gloire, sans le secours d’une main étrangère. Tel qu’il est, il atteste une érudition peu commune, une rectitude de jugement qui, dans toutes les questions fondamentales, va droit à la vérité, et un esprit de critique que ne posséda au même degré aucun des géographes orientaux ou européens de la même époque. Aboulféda a rejeté les légendes et les faits merveilleux auxquels ajoutaient foi ses contemporains, et n’a admis que des faits avérés et d’un caractère purement scientifique.