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redoutait, qu’il licencierait dans ce cas toute son armée, pour tenir les montagnes avec son bataillon des Guides et cinq autres bataillons, comme l’avait fait Mina lors de, la guerre de l’indépendance. Dans de pareilles guerres, c’est l’exiguïté même des moyens employés qui fait souvent la grandeur des résultats obtenus. C’est avec moins de trois mille hommes que Mina, El Manso et El Pastor (Jauregui) ont paralysé tous les efforts des triomphantes armées de Napoléon.

Avec trois mille hommes, Zumalacarregui pouvait disposer de l’ennemi à son gré ; avec trente mille hommes, c’est l’ennemi qui aurait disposé de lui. Les populations se seraient vite épuisées à nourrir une armée de trente mille hommes, et, pour s’en débarrasser plus tôt, elles l’auraient trahie : cette armée, dans de pareilles conditions, n’aurait point été libre de refuser la bataille ; elle aurait été obligée d’attaquer l’ennemi sur son terrain pour ne point peser trop long temps sur une population appauvrie. Inférieure par l’armement et la discipline à une armée, régulière, la défaite pour elle aurait précédé le combat. C’est ce qui allait arriver précisément aux volontaires des provinces basques, qui, agglomérés au nombre de vingt mille à Oñate, se dispersèrent à l’approche de la petite armée de Saarsfield et tombèrent, détachemens par détachemens, aux mains des cavaliers qui les poursuivirent. Avec trois mille hommes, au contraire, répartis par compagnies ou par bataillons dans les vallées, Zumalacarregui devenait insaisissable et faisait à ses adversaires plus puissans une nécessité de le poursuivre, sous peine de voir l’opinion publique se déchaîner contre eux. Il ménageait ainsi, en se les conciliant, les contrées que ses adversaires épuisaient, et, toutes les fois qu’il avait besoin d’un engagement pour remonter le moral de l’insurrection, il pouvait attirer les ennemis sur le terrain qu’il avait choisi dans une contrée où les positions militaires abondent sur tous les chemins, défilés déjà célèbres, lieux d’embuscade inévitables : Salinas, Borunda et Lecumbéri, sur la route de Pampelune à Vittoria ; Carascal, sur la route de la Ribera ; Peña Serrada, aux avenues de Logroño ; Pencorbo, sur la route de Vittoria à Burgos ; les Deux Soeurs ; sur la route de Saint Sébastien, etc.

Zumalacarregui, connaissant bien le terrain, résolut donc de forcer les constitutionnels à obéir, sans qu’ils s’en doutassent jamais au plan de campagne qu’il s’était lui-même tracé. En résumé, ce plan consistait à détruire en détail l’armée ennemie tout en ayant l’air de se faire battre par elle. Il sut attirer les christinos après lui en leur laissant toujours les honneurs du champ de bataille. Plusieurs fois on put croire à Madrid que l’insurrection était finie ; mais, le lendemain, on apprenait avec étonnement qu’un régiment égaré avait été écrasé dans une embuscade par un ennemi invisible, qu’un convoi avait disparu on ne savait comment, qu’une garnison s’était révoltée parce qu’elle