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moyen de reconnaître la route ; malgré tous les efforts que je faisais pour suivre la ligne droite, je me sentais dévier d’un côté sur l’autre ; un vague instinct me disait que j’errais au gré de la tempête comme un navire sans gouvernail. La pensée me vint aussitôt d’appeler Pepa, mais je n’entendis ni sa voix ni celle de mes compagnons : nous étions dispersés. Il est bien rare qu’un voyageur égaré ne soit pas poussé par sa mauvaise étoile dans une voie tout opposée à celle qu’il doit prendre. Chassé par la bourrasque, engourdi par le froid pénétrant qui régnait dans ces régions si élevées, je marchai au hasard ; pendant combien d’heures ? je ne sais. Quand le jour parut, la tempête cessa, le ciel s’éclaircit. Je me trouvai au milieu d’une gorge profonde, encombrée de neige, au-delà de laquelle je ne pouvais rien découvrir que des glaciers entassés les uns au-dessus des autres. À droite et à gauche s’ouvraient d’autres vallées à perte de vue, qui se ressemblaient toutes. Qu’étaient devenus mes compagnons ? où était Pepa ? Les forces allaient me manquer ; j’eus beaucoup de peine à me traîner dans une grotte formée par la saillie d’un rocher, et je m’y assoupis, vaincu par la fatigue.

Cependant, comme je l’appris plus tard, mes compagnons, plus heureux que moi, avaient pu se maintenir sur la pente de la Cumbre. Quand la tourmente apaisée leur avait permis de se reconnaître, ils s’étaient fait des signes et s’étaient rassemblés sur le sommet de la montagne. Pepa les y avait rejoints bientôt ; elle avait les mains et la bouche fendues par le froid, ses jambes ne pouvaient plus la porter. En arrivant auprès de mes compagnons, elle avait demandé : « Où est Mateo ? » Personne n’avait répondu. « Où est Mateo ? où est-il ?… Perdu, n’est-ce pas ? égaré dans ces neiges ?… Vous ne l’y laisserez pas périr, vous, ses amis, ses compagnons ! Courons le chercher !… » Et elle s’était précipitée en avant d’un pas si délibéré, que le reste de la troupe, honteux de voir tant de courage chez une jeune femme, s’était joint à elle.

Mes compagnons m’avaient cherché long-temps sans aucun espoir de me trouver. Après avoir parcouru en tous sens les gorges profondes qui s’ouvraient devant eux, ils avaient acquis la certitude que leurs efforts n’amèneraient aucun résultat ; il était évident pour eux que j’avais péri sous une avalanche. Seule, Pepa ne voulait pas renoncer à l’espérance de me découvrir : — esperaba desperada ! — À force de promener ses regards sur l’immensité glacée, elle distingue l’espèce de caverne où j’avais cherché un refuge ; il lui semble qu’une forme humaine se dessine sous ce roc creusé par la nature pour offrir un abri au voyageur égaré. Sans dire un seul mot, elle se précipite en droite ligne vers le point qui l’attire. Elle court ; la neige s’affaisse sous ses pas, mais elle se dégage et avance de nouveau, malgré les avertissemens de mes amis, qui la rappellent en arrière. Pour toute réponse, elle leur fait signe de tourner la vallée, et leur montre du doigt le